Le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), chargé d’évaluer les politiques publiques en matière d’agriculture et d’alimentation, s’est penché sur la valorisation des « externalités environnementales » de l’agriculture, dans un rapport publié le 18 décembre 2025. « La pérennisation du financement ne pourra être assurée qu’en mobilisant des ressources au-delà du seul budget public », selon les conclusions de ce rapport.

Mieux articuler les différents outils

En France, plusieurs dispositifs existent pour valoriser économiquement les externalités environnementales. Les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) représentent un des moyens de valoriser des bénéfices environnementaux produits par les exploitations. Les paiements pour services environnementaux (PSE) versés aux agriculteurs au travers de l’écorégime de la Pac sont une autre source de rémunération par des fonds publics. Des PSE sont par ailleurs expérimentés par des agences de l’eau depuis 2020 pour protéger la qualité de l’eau. D’autres encore sont portés par des acteurs privés, notamment pour la séquestration de carbone.

Mais « une meilleure articulation entre les différents outils d’accompagnement des transitions agro-écologiques doit aujourd’hui être recherchée », selon le cabinet de la ministre de l’Agriculture qui a missionné le CGAAER sur ce sujet en avril dernier.

Complémentarité des dispositifs

Les experts ne relèvent pas de concurrence entre les MAEC et les PSE mais « plutôt une complémentarité à l’échelle des territoires » car ces outils ne ciblent pas nécessairement le même public. Par exemple, « les PSE permettent de viser des systèmes de production qui ont des difficultés à être pris en compte par les MAEC : cultures industrielles ou spécialisées, élevage de monogastriques », indique le rapport. « Ainsi, en Alsace, la souplesse du dispositif a permis de concevoir, en complémentarité avec une démarche de filière, un PSE adapté au système de monoculture de maïs. En Bretagne, cela a permis de concevoir un PSE adapté aux cultures légumières locales ».

Mais les territoires sont confrontés à des difficultés à financer les surcoûts et les manques à gagner de la transition, « d’autant plus sur les systèmes à plus forte valeur ajoutée tels que les cultures industrielles ou spécialisées », soulève le CGAAER. Et pérenniser les évolutions des systèmes d’exploitation pose question : « sans couplage à une démarche de filière ou à un réel financement du service rendu (par exemple par le producteur d’eau potable), le risque de régression est réel », estiment les rapporteurs.

La future Pac pourrait conduire à « une crise de financement national »

Le CGAAER met par ailleurs en lumière « de fortes incertitudes sur le devenir des outils ciblant les actions environnementales dans la prochaine Pac ». Les actions environnementales et climatiques devraient en effet être cofinancées à un minimum de 30 % par des fonds nationaux.

« La négociation sur la proposition de la Commission débute à peine mais, telle quelle, elle amènerait à une crise de financement national des actions environnementales et climatiques dans une situation budgétaire déjà tendue », souligne le service de la prospective du ministère de l’Agriculture. Selon le CGAAER, les crédits nationaux pour les mesures incitatives pour l’environnement et le climat représentent aujourd’hui à 581 millions d’euros annuels pour les MAEC, l’agriculture biologique, et l’indemnité compensatoire du handicap naturel (ICHN) pour un budget total de 3,1 milliards d’euros, l’écorégime n’exigeant pas de cofinancement national à ce jour.

En prenant en compte un cofinancement national dans la prochaine programmation de la Pac, la contribution de la France s’élèverait a minima à 30 % du budget total, soit 944 millions d’euros, ce qui représente une hausse de 363 millions d’euros par rapport à la programmation actuelle.

« Il y a donc clairement un enjeu de négociation pour maintenir le financement de ces actions à un taux le plus proche possible de 100 % sur des crédits européens », recommande le CGAAER.

Dans le cadre de la Pac, le CGAAER recommande aussi « de mettre en place des mesures annuelles ou pluriannuelles de maintien des pratiques sur des enjeux de portée nationale (agriculture biologique, maintien des prairies permanentes, élevage extensif) et, d’autre part, des mesures pluriannuelles d’amélioration des pratiques via des MAEC non systémiques ».

Les PSE des agences de l’eau jugés « très utiles »

S’agissant des PSE portés par les agences de l’eau, le CGAAER les évalue comme « des outils souples, adaptés finement à un territoire et à un enjeu environnemental spécifique ». Cela en fait « des outils très utiles pour traiter des situations locales à fort enjeu » telles que les aires d’alimentation de captage prioritaires. Les rapporteurs recommandent que ces PSE restent « complémentaires et extérieurs » aux financements européens de la Pac, jugés quant à eux trop rigides pour prendre en compte de manière efficace les caractéristiques des territoires à fort enjeu environnemental.

Le CGAAER recommande aussi une articulation des PSE avec des projets de territoire, notamment avec les projets alimentaires territoriaux. L’enjeu serait notamment de rendre les produits acquis dans le cadre de PSE, conformes avec les règles de la commande publique pour l’approvisionnement en restauration collective.

Des financements privés en relais de l’aide publique

« La pleine efficacité de ces dispositifs passera par la mise en place d’un modèle hybride », concluent les rapporteurs. Le modèle recommandé par le CGAAER repose d’une part sur l’aide publique qui serait utilisée « de manière stratégique pour amorcer la transition », d’autre part sur des financements privés et de marché qui prendraient le relais « pour valoriser et pérenniser la production des services environnementaux indispensables à la société ».

Les experts ont identifié quelques PSE d’État associés à des dispositifs de valorisation par les filières aval, qui correspondent à ce modèle. Par exemple, la démarche portée par l’association « Pour une agriculture du vivant », basée sur des fonds publics et privés est « intéressante » selon les rapporteurs, pour atteindre un niveau de financement supérieur. Le CGAAER conseille ainsi l’articulation entre de tels dispositifs « chaque fois que c’est possible », en recherchant bien « la cohérence entre les cahiers des charges des PSE et ceux des primes filières ».