« Nous sommes la carte postale du territoire bocager, ça se paye ! », revendique Béatrice Cherrier, éleveuse de limousines à Villeneuve-en-Perseigne (Sarthe). L’agricultrice comptabilise 9 kilomètres de haies avec près de dix-huit variétés dont du chêne épine noire, du saule, de l’églantier, de la bourdaine, de l’aubépine, ou encore du fusain. Passionnée depuis toujours par l’arbre et l’agroforesterie, Béatrice fait partie des pionniers du projet Carbocage. Une démarche volontaire qui rémunère le stockage de carbone additionnel dans les haies via un paiement pour service environnemental (PSE) privé. Il s’agit ici de rémunérer le carbone stocké grâce à une gestion durable des haies.

Un label créé par les agriculteurs

« Il fallait un apport financier pour conserver nos haies. J’y ai cru dès le départ, on a pris la vague au bon moment », se souvient l’agricultrice. Les premières réflexions se tiennent en 2018. À l’époque, Béatrice Cherrier bénéficie d’une mesure agroenvironnementale et climatique (MAEC) pour la gestion de ces dernières. « Les MAEC, c’est un contrôle annuel avec un cahier des charges imposé. Avec ce PSE, c’est à nous d’avoir la main sur nos haies ».

Avec l’aide de la chambre d’agriculture, un petit groupe d’agriculteurs participe aux réflexions pour la rédaction du cahier des charges de la méthode « bas carbone » validée et reconnue par le ministère de la Transition écologique. Ce label « rassure les agriculteurs et les financeurs quant au sérieux du projet », explique Marie Rullier, coordinatrice pour l’association Solenat. Cette dernière sert d’intermédiaire entre les agriculteurs et les financeurs.

Rémunération annuelle

Concrètement l’association Solenat cherche des financeurs – majoritairement des entreprises et des collectivités — contractualise avec eux puis avec les agriculteurs pour une durée de cinq ans, renouvelable deux fois. « Se projeter sur quinze ans, c’est trop long pour tout le monde car nous avons peu de visibilité sur cette durée, commente Marie Rullier. Mais c’est intéressant d’un point de vue technique de réfléchir sur ce pas de temps ». La chambre d’agriculture assure la partie technique. Elle rédige le diagnostic de départ et le plan de gestion durable pour quinze ans, puis assure le suivi annuel durant les premières années. « Il peut s’agir de remettre des clôtures, de recéper, de planter, d’étêter, ou de couper seulement les branches basses », détaille Claire Faivet, conseillère agroforesterie à la chambre d’agriculture de région Pays-de-la-Loire. Cet accompagnement est actuellement pris en charge dans les zones Natura 2000 ou financé par le Pacte haies et en fonds propres par la chambre d’agriculture.

Outre le respect du cahier des charges et du plan de gestion, les agriculteurs s’engagent à suivre une formation tous les cinq ans sur l’agroforesterie. Un bilan à mi-parcours permet de faire le point sur les pratiques. Tous les cinq ans, un organisme certificateur indépendant vérifie si la méthode est bien respectée et si les objectifs sont atteints.

Le paiement, annualisé, est calculé en fonction du volume de CO2 additionnel séquestré par les haies (via les racines et la biomasse aérienne). Le paiement du solde est réajusté au terme de la cinquième année de labellisation.

Recherche de financement

« Depuis 2022, nous déposons tous les ans une demande de labellisation pour un groupe d’agriculteurs, explique Marie Rullier. Cette mutualisation nous permet une certaine souplesse sur les volumes à stocker. Le montant de la tonne est la même pour tout le monde ».

La rémunération dépend du linéaire de haies et du mode de gestion. « Il faut compter autour de 2 000 – 2 500 euros par an, indique Marie Rullier. Cela couvre les frais d’entretien de la haie. Le paiement est plutôt un coup de pouce que le vrai moteur du projet ». L’utilisation de la haie (bois de chauffage, litière, etc.) n’est pas contrainte dans le contrat. Toutefois, les volumes de bois et leur utilisation sont pris en compte pour le calcul du carbone stocké.

Aujourd’hui Solenat contractualise avec vingt-sept agriculteurs, neuf entreprises et deux collectivités. Quatorze dossiers sont en cours d’instruction pour être labellisés et contractualiser cet été. « Notre principal frein est de trouver suffisamment de financements pour démultiplier ces projets. Le marché du carbone est peu dynamique, ce n’est pas simple. Nous avons pour objectif d’aller chercher des financements auprès d’entreprises qui ont une activité importante dans la région, de créer une véritable économie circulaire », espère Marie Rullier.

« Ce que je plante, je sais que cela aura une valeur pécuniaire demain. C’est aussi un témoignage de vie de nos anciens. Si mon repreneur est moins ambitieux sur l’entretien et la gestion des haies, je pense que ce sera un frein », confie Béatrice Cherrier.