« L’agriculture cellulaire comporte de nombreuses zones d’ombre, ambiguïtés et présente des procédés douteux. » Dans son enquête parue en juin 2022, l’École de guerre économique (EGE) tire à boulets rouges sur la viande dite cultivée.

Jeux d’influence

Dès 2018, à l’issue de premiers travaux menés sur cette industrie, l’établissement d’enseignement supérieur exhortait la filière de la viande « à sortir du vide stratégique dans lequel elle se trouvait ». Face aux défenseurs de ces protéines animales issues de cellules souches placées dans des cuves de culture, sa passivité déconcertait. Si la filière est désormais mobilisée auprès de parlementaires français et européens, il n’en reste pas moins qu’aucune discussion publique n’a à ce jour été initiée, souligne l’EGE.

 

La course à la viande 2.0 n’a pourtant jamais été autant d’actualité. Singapour et Israël s’inscrivent comme les deux seuls États à l’avoir autorisée pour des raisons avant tout économiques.

 

En Europe, aucune demande d’autorisation de mise sur le marché n’a été formulée auprès de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), mais, « c’est imminent ! », jurent les nouveaux lobbyistes de la nourriture synthétique — l’association Cellular Agriculture Europe.

 

Lancé en décembre, ce consortium, formé d’une dizaine d’entreprises d’alternatives à la viande tel le Hollandais Mosa Meat, le Français Gourmey et l’Israélien Aleph farms, s’active pour imposer sa « nouvelle nourriture », sans passer par la case « débat ».

 

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Écarter l’agriculture

Enregistrée par la Commission européenne, une initiative citoyenne portée par l’organisation antispéciste End The Slaughter Age (Sortir de l’ère de l’abattage) atteste aussi de cette volonté de contraindre, sans discuter : ouverte à la collecte de signatures depuis le 5 juin 2022, pendant un an, elle demande à exclure l’élevage des activités éligibles aux aides de la politique agricole commune, au profit de la fausse viande.

 

« La démarche des instigateurs de l’agriculture cellulaire consiste à éliminer les filières traditionnelles, en disant, sans le démontrer, qu’elles posent des problèmes de santé et d’environnement, dénonce Christian Harbulot, directeur de l’EGE. Ses partisans se positionnent en tant qu’acteurs vertueux face à un système agricole “fou”, en prenant le plus souvent pour référentiel le système américain. »

 

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Faire fi de la santé

Pour favoriser le développement de la viande cellulaire, ses promoteurs recourent à d’autres arguments « trompeurs ». L’EGE souligne en l’occurrence que « les avantages environnementaux et sanitaires présumés de la viande cellulaire sont largement spéculatifs ». De même, l’innocuité de la viande cellulaire n’est toujours pas démontrée.

 

« Certains industriels emploient la manipulation génétique pour pallier les problèmes techniques rencontrés. Des OGM sont par exemple utilisés en solution de remplacement du sérum fœtal bovin. Les cellules primaires sont modifiées génétiquement pour devenir immortelles […]. L’ingestion de telles cellules pose un problème sanitaire », pointe l’EGE. L’agriculture cellulaire aurait par ailleurs recours aux hormones, bien qu’interdit dans l’Union européenne pour produire de la viande.

Marché juteux

« La capacité de l’agriculture cellulaire à lutter contre l’antibiorésistance et contre les maladies zoonotiques n’est pas incontestable non plus, poursuit l’EGE. Elle utilise très probablement des antibiotiques. » Son impact est-il moindre sur l’environnement que l’agriculture d’élevage ? Plusieurs rapports remettent aussi cet argument en cause (1). « Les études visant à estimer l’impact environnemental et sanitaire de l’agriculture cellulaire sont alimentées par les industriels eux-mêmes », dénonce l’EGE.

 

L’intérêt pour cette viande cellulaire tient surtout au marché potentiel qu’elle représente, estimé entre 250 et 750 milliards d’euros à l’horizon de 2050. « Le profit semble être la seule boussole de ces industriels » pour l’organisme.

 

Les institutions européennes sont à l’heure actuelle le théâtre de leurs manœuvres d’influence, décrit l’Ecole de guerre économique : « Ils souhaitent que leurs pratiques échappent au cadre réglementaire » et cherchent dans le même temps à obtenir des subventions publiques, « sans accorder à l’État le moindre droit de regard ».

Nord tout-puissant

Aux côtés de l’EGE, de nouvelles voix s’élèvent pour dénoncer cette offensive in vitro. Le groupe de réflexion bruxellois dédié à la transition agroécologique, IPES-Food, regrette à son tour, dans un récent rapport, « les déclarations trompeuses et les généralisations abusives omniprésentes dans les débats sur la viande et les protéines. Certaines d’entre elles sont répétées et acceptées, bien qu’elles reposent sur des preuves incertaines. »

 

Les protéines ne sont qu’un des nombreux nutriments manquants dans l’alimentation de ceux qui souffrent de faim et de malnutrition, indique encore le collectif. Enfin, « l’idée selon laquelle nous avons besoin de plus de protéines mais de moins de viande, comme beaucoup le proclament, est en décalage avec les réalités de l’insécurité alimentaire et des difficultés de subsistance dans de nombreuses régions du monde, surtout dans le Sud », insiste IPES-Food.

 

« Ça n’est de toute façon pas de la « viande » ! », reprend l’EGE. Seules les fibres musculaires sont reproduites. Au même titre que les substituts de viande à base de végétaux, ces avatars ne doivent donc en aucun cas en porter le nom, « sous peine de tromperies », insiste-t-elle.

 

En attendant, puisqu’aucun risque n’a été écarté, la France a préféré la précaution à l’innovation, en interdisant la viande artificielle dans ses cantines scolaires.

 

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(1) M.RE, EC, TTN, MC-A, SDS & JD (2021). Analysis of the cultured meat production system in function of its environmental footprint.