L’agriculture semble bel et bien servir de monnaie d’échange pour l’ouverture du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) aux produits industriels et aux services européens. Or, au vu des flux des produits agricoles entre les deux blocs (voir infographie), l’UE n’a guère d’intérêts à ouvrir davantage ses frontières. Les plus impactés seront sans doute la viande bovine, l’éthanol et le sucre. Mais il est hasardeux d’en mesurer les conséquences économiques, d’autant que la Commission européenne reste d’une totale opacité, sur ses propositions comme sur les simulations qu’elle a pu réaliser.

Viande bovine

Le Mercosur fournit trois quarts de la viande bovine importée par l’UE, soit 230 311 tonnes équivalent carcasse (téc) en 2017.

Dans sa dernière offre en date, l’UE propose d’ouvrir un contingent supplémentaire d’importation de 70 000 téc, mis en œuvre sur six ans, taxé à hauteur de 7,5 % et réparti à parts égales entre marchandise fraîche et congelée. Le chiffre de 99 0000 téc circule aussi. « Le nouveau contingent pourrait être rempli à 75 % par des aloyaux, car l’Europe est l’un des marchés les plus rémunérateurs pour les pièces nobles », précise Philippe Chotteau, de l’Institut de l’élevage. Sous l’effet cumulé de l’accord avec le Canada (65 000 téc) et d’un possible accord avec le Mercosur, ce sont 140 000 à 165 000 téc d’aloyaux de races à viande qui débarqueraient progressivement sur le marché européen. Ce dernier en absorbe aujourd’hui environ 600 000 téc, dont 218 000 téc importées.

« Ce nouvel accord fera planer une épée de Damoclès au-dessus de l’élevage allaitant européen, observe Philippe Chotteau. Il n’y aura pas forcément de conséquences immédiates, mais une multiplication par 2 ou 3 du risque de baisse brutale, et probablement durable, des prix. Actuellement, les exportateurs sud-américains commercialisent leurs aloyaux à un tarif, certes inférieur de 1 à 2 €/kg à celui des aloyaux européens, mais bien supérieur à leur seuil de rentabilité. Avec l’ouverture d’un contingent supplémentaire, certains pourraient casser les prix pour s’imposer sur un marché de plus en plus concurrentiel. » La fermeture temporaire de la Chine à la viande brésilienne (son premier débouché), la survenue d’une sécheresse ou encore la baisse des taux de change sont autant d’incidents qui déstabiliseraient par contrecoup le marché européen.

« L’impact de cet éventuel afflux de viande est difficile à chiffrer, souligne Philippe Chotteau. Il dépendra du contexte du marché lors de sa mise en place effective (pas avant 2020) et du contenu exact de l’accord : une obligation de transformation d’une partie de la viande pourrait, par exemple, réduire le volume d’aloyaux expédiés. La France ne devrait absorber qu’une faible partie de la viande importée. Elle sera plutôt destinée à l’Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni ou à l’Italie, où elle viendrait alors concurrencer la viande française. »

Volaille

Le contingent attribué aux pays tiers est, actuellement, de 873 000 t de viandes de volailles, dont la moitié pour le Brésil, premier exportateur mondial. « En 2016, l’UE a importé 831 000 t, précise François Cadudal, de l’Itavi. Certaines lignes tarifaires n’étaient pas remplies, mais le contingent « poulet » l’est à 100 %. Si on l’ouvre davantage, ça rentrera ! Les importations depuis les pays tiers ne pèsent que 9 % de la consommation européenne, mais il s’agit surtout de filets, là où se fait la valorisation. » La dernière proposition est de 78 000 t à 7,5 %, mais les rumeurs font état d’une ouverture à 100 000 t.

Autre préoccupation : sur les 831 000 t importées, 30 à 50 % aboutissent au Royaume-Uni. S’il ne récupère pas une partie des contingents existants et futurs après le Brexit, le marché européen risque l’engorgement, et la France serait le pays le plus impacté.

Porc

« Pour le porc, il y a davantage d’inquiétudes que d’opportunités », souligne Michel Rieu, de l’Ifip, visant le Brésil, quatrième producteur et exportateur mondial, aux coûts de production plus faibles. Ses débouchés principaux sont la Russie et la Chine. L’UE ne figure pas parmi les destinations, mais elle peut devenir un marché de dégagement. La dernière proposition, en octobre, portait sur un contingent de 12 250 t à 83 €/t. Principaux dangers pour l’UE : des importations à prix très bas, des produits ne présentant pas toutes les garanties sanitaires…

« Le risque dépendra du contingent octroyé sans droit de douane, de la dynamique de la production sud-américaine et de la portée des barrières non tarifaires (agrément des abattoirs, interdiction de la ractopamine). »

Produits laitiers

La filière laitière est l’une des moins inquiètes par l’ouverture au Mercosur, d’où sa discrétion sur le sujet. La consommation de produits laitiers y est dynamique, et la filière locale peu orientée vers l’export. « Cet accord est une opportunité pour l’exportation de fromages, beurre et crème, estime Gérard Calbrix, de l’Atla. Pour les transformateurs européens, l’absence de barrière tarifaire facilitera les envois depuis l’UE, au lieu de devoir s’implanter sur place. » Néanmoins, quelques inquiétudes persistent sur les produits secs. « Nous ne souhaitons pas avoir des volumes de poudre supplémentaires sur les bras. » Autre point dur : la protection des signes de qualité. « Dans le passé, des fromages AOP italiens ont été falsifiés au Brésil et en Argentine, explique Benoît Rouyer, du Cniel. Il s’agit de se prémunir contre les usurpations. »