Chaque semaine, ils sont l’outil de travail de plus de 20 000 éleveurs et 3 000 opérateurs, ainsi que le théâtre­ de près de 30 000 transactions. Tout comme les abattoirs de proximité (1), les marchés aux bestiaux sont une pierre angulaire historique de l’économie des filières d’élevage, forts de leur ancrage territorial (voir la carte ci-contre).

Baisse des volumes

Mais force est de constater que les volumes totaux offerts s’érodent au fil des ans (voir l’infographie p. 44).

Si les marchés avaient réussi à retrouver une certaine stabilité des apports en 2017, après les épisodes de fièvre catarrhale ovine (FCO), les volumes sont repartis à la baisse depuis 2018, avec en toile de fond, le recul des cheptels de bovins et d’ovins français. En 2020, la pandémie de Covid-19 a sonné comme un nouveau coup dur. Au sein des 46 foirails adhérents à la Fédération française des marchés de bétail vif (FMBV), les apports sont passés sous la barre symbolique du million d’animaux, pour s’établir à 927 944 têtes, pénalisés par 115 semaines cumulées de fermeture. « Depuis 2018, nous observions un recul des volumes de l’ordre de 3,9 % par an, rapporte Alain Breteaudeau, président de la FMBV. Mais en 2020, ils ont chuté de 12,8 %. Certains marchés ont eu le temps de se réorganiser, ce qui leur a permis de reprendre rapidement leur activité. Mais d’autres ont été contraints d’attendre la fin du premier confinement, c’est-à-dire mi-mai 2020, avant de rouvrir.

Entre-temps, le commerce d’animaux vifs s’est poursuivi en dehors des marchés et les opérateurs ont ainsi pris d’autres habitudes de travail. Et comme après chaque crise sanitaire, il est très difficile de retrouver des effectifs. »

La menace du commerce en direct

Le défi est d’autant plus grand que la perte d’un seul opérateur peut être lourde de conséquences. « Il y a une concentration des acteurs, observe Christophe Geoffray, directeur général délégué du foirail de Chambière, à Bourg-en-Bresse (Ain). Leur taille est de plus en plus importante. Nous avons récemment perdu un gros acheteur, qui travaille désormais en direct avec son négociant, alors que les animaux transitaient jusqu’alors sur notre marché. L’impact sur les apports a été immédiat, avec un recul de près de 30 % des effectifs totaux. Le développement du commerce direct est un réel danger. »

Pour Stéphane Jamin, trésorier de la Fédération française des commerçants en bestiaux (FFCB) et président du syndicat des commerçants des Pays de la Loire, « les marchés sont l’endroit par excellence des petits opérateurs qui n’ont pas la capacité d’apporter de manière régulière beaucoup d’animaux dans une catégorie donnée. Cela leur permet de trouver des acheteurs pour tous les types de bétails. Les négociants de taille plus importante y ont aussi un intérêt pour valoriser l’ensemble des bêtes qu’ils collectent. De leur côté, les abatteurs peuvent compléter leurs approvisionnements en venant chercher ce qui leur manque pour répondre à la demande de leurs clients. »

S’agissant des éleveurs, « même s’il y a les droits d’entrée ou les frais de marchés à régler, ils sont compensés par les bénéfices que l’on peut en tirer, que les animaux soient apportés directement ou par l’intermédiaire d’un négociant », estime Philippe Auger, président d’Elvea France. Charles Duchier, président du marché au cadran de Châteaumeillant, y voit aussi un moyen d’évaluer le travail accompli et de se mesurer à ses pairs. « Lorsqu’on est dans son élevage, on a toujours l’impression d’avoir les meilleurs animaux », sourit-il. L’éleveur insiste également sur l’intérêt de la « transparence des transactions sur les foirails ». « Demain, s’il y a moins de marchés, il y aura d’importants problèmes de concurrence et donc de prix, au désavantage des éleveurs », prévient Christophe Geoffray.

Choisir un mode de vente adapté

Afin d’attirer davantage d’apporteurs, le choix du mode de vente est déterminant. Depuis une dizaine d’années, une sensible croissance des volumes est observée sur les cadrans (voir l’infographie ci-contre). En 2020, ils expliquaient 45 % des apports totaux enregistrés par les adhérents de la FMBV, contre 39 % en 2019. L’an passé, 70 % des gros bovins maigres et des ovins apportés sur les foirails ont transité sur des cadrans, ainsi que 48 % des broutards.

Parmi les arguments qui font mouche auprès des apporteurs - en particulier les éleveurs - figure l’absence de contact direct entre les acheteurs et les vendeurs. Les affres de la négociation laissent la place à une vente aux enchères sous couvert d’anonymat. Elle est animée par le chef des ventes du marché, à qui les éleveurs donnent leurs consignes, notamment concernant leurs objectifs de prix.

Aux yeux des vendeurs, l’autre atout des cadrans est la garantie de paiement (aussi proposée sur certains marchés de gré à gré). Après s’être assuré de la solvabilité de l’acheteur, par exemple via une caution bancaire, le marché assure la facturation et le paiement des animaux. « Sur notre cadran, le paiement est comptant, témoigne Jérôme Chartron, chef des ventes au marché de Châteaumeillant. Les éleveurs peuvent ainsi gérer et planifier plus facilement leur trésorerie, notamment vis-à-vis de leurs fournisseurs ou de leur banque. »

Depuis son passage au cadran en avril 2018 et son ouverture à toutes les catégories de bovins, le marché de Baraqueville (Aveyron), où s’échangent en majorité petits veaux, veaux gras et gros bovins de boucherie, a renoué avec le dynamisme des apports. L’an passé, ils ont progressé pour la troisième année consécutive, en affichant une croissance de 8 %. Les apports totaux sont passés de 5 415 têtes en 2018 à 8 865 en 2020. Le constat est similaire sur le foirail de Saugues (Haute-Loire), passé du gré à gré au cadran en décembre 2019. Ses apports, essentiellement constitués d’ovins, sont en hausse de 16 % en 2020. « Les jeunes apportent plus volontiers leurs animaux, alors qu’ils étaient devenus plus réticents », confiait Hervé Portal, administrateur du marché de Saugues, en octobre  2020 (2), près d’un an après l’adoption de ce nouveau mode de vente. Mais à chaque règle ses exceptions, et le cadran de Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne) en est l’illustration. Inauguré fin 2019 et financé par un investissement public de 2,7 millions d’euros, le marché n’a jamais trouvé son public. Il a cessé ses activités le 1er avril dernier, après seulement 15 mois de fonctionnement.

« Dimension humaine »

Pour les structures ne disposant pas de ring de présentation, la vente à la criée se présente comme une alternative. Le chef des ventes procède aux enchères autour des cases où sont disposées les bêtes. Cette option a été retenue par le marché de Réquista (Aveyron) en 2018, en remplacement de la vente de gré à gré. La fréquentation du foirail a depuis retrouvé des couleurs. Malgré trois semaines de fermeture en raison du Covid-19, Réquista s’est hissé l’an passé au rang de premier marché ovin de France. Ses apports totaux se sont établis à 43 687 têtes en 2020, contre 34 390 en 2018. « Chaque lundi ou presque, de nouveaux éleveurs y viennent, rapporte Jean-Michel Recoules, le directeur. Récemment, l’un d’eux a même fait quatre heures de route depuis la Corrèze pour venir vendre des agneaux sevrés. »

Particulièrement appréciés des commerçants en bestiaux, les marchés de gré à gré n’ont, de leur côté, pas dit leur dernier mot. Ils représentaient encore 55 % des apports des adhérents de la FMBV en 2020. « Ce mode de vente présente l’avantage d’être simple et rapide. Avec l’appui d’un bon logiciel, entre 6 h et 12 h, nous pouvons commercialiser 2 000 bêtes sans problème », soutient Christophe Geoffray. De son côté, Stéphane Jamin, apporteur au marché de Cholet (Maine-et-Loire), apprécie la dimension « humaine » du gré à gré. « Cela permet de garder une relation de confiance et de conseil avec les éleveurs en amont du marché. Le jour de la vente, la négociation avec les acheteurs en est d’autant plus motivante. »

Ouverture au bio

Afin de répondre aux besoins des éleveurs, certains marchés proposent désormais une section bio. C’est notamment le cas des foirails de Baraqueville, Réquista, Bourg-en-Bresse, Laissac (Aveyron), Arras (Nord), Ussel (Corrèze), Mauriac (Cantal), et sur les marchés du Mol (Bretagne). « Les volumes sont encore très limités et les circuits classiques restent très concentrés, reconnaît Marion Donars, codirectrice de la FMBV. Pour les marchés, il s’agit pour l’instant d’un service complémentaire rendu à leurs usagers. »

(1) Lire La France agricole  n° 3822 du 25/10/2019.

(2) Lire La France agricole  n° 3873 du 16/10/2020.

Par Vincent Guyot