D’abord cantonné au café ou au chocolat, le commerce équitable ne peut plus aujourd’hui être réduit à ces deux ingrédients. Désormais de la farine, des chips ou du lait français font trôner sur leur emballage l’un des sept labels membre du collectif « Commerce équitable France ». Cinq développent des filières françaises, et deux labels revendiquent uniquement l’origine France : Agri-éthique France et Bio équitable en France. En 2023, 9 600 fermes françaises bénéficiaient d’un commerce équitable dans leurs relations économiques avec l’aval.
Face à l’instabilité du marché et la volatilité des prix, les agriculteurs français commencent eux aussi à intégrer une démarche originellement destinée à protéger des producteurs de l’hémisphère sud, portés par des organisations de producteurs, des marques ou des industriels engagés. Les sept principes du commerce équitable (partenariat équitable dans la durée, respect de l’environnement, transparence et traçabilité des filières, gouvernance démocratique, prix rémunérateurs, financement de projets via le versement d’un montant supplémentaire et sensibilisation des consommateurs) formulés dans la loi relative à l’économie sociale et solidaire en 2014 semblent séduire les filières françaises.
Coûts de production pris en compte
« Quand on voit les mobilisations paysannes en France et en Europe, on voit bien qu’il y a un problème de revenu », lance Julie Stolle, déléguée générale du collectif Commerce équitable France, quelques mois après les manifestations des agriculteurs français.
Le commerce équitable instaure un prix « qui prend en compte les coûts de production », ajoute Julie Maisonhaute, déléguée générale adjointe de l’organisation. Les organisations de producteurs ont une place centrale dans l’élaboration du prix avec la création de contrats trisannuels.
Au label Agriéthique, « l’organisation de producteur contractualise avec chaque producteur sur la base d’un prix local », explique Ludovic Brindejonc, fondateur du label, qui regroupe près de 1 900 exploitations. Le prix minimum local est aussi le moyen brandi par Max Havelaar face au besoin de s’adapter aux contraintes du territoire, pour la douzaine d’agriculteurs récemment engagés dans la démarche en Manche et Haute-Garonne.
Les 3 000 fermes engagés auprès de Biopartenaire bénéficient eux d’un prix minimum garanti et d’un prix de campagne, qui s’adapte aux aléas climatiques et territoriaux. En général, les organisations de producteurs multiplient les débouchés. Cela permet à l’agriculteur « d’avoir une partie de son volume à prix garanti tout en restant sur le marché » et de pouvoir bénéficier de sa hausse quand il est favorable, indique Ludovic Brindejonc. Cette démarche a aussi été un moyen d’enjamber la crise du bio pour certains agriculteurs de Biopartenaire.
« Partager la responsabilité de la transition »
Laboratoire d’idée pour améliorer les lois Egalim et le revenu agricole, le commerce équitable est aussi une « manière de partager la responsabilité de la transition écologique », assure Julie Maisonhaute.
Établis par l’agriculteur, les coûts de production intègrent la démarche environnementale, plaident les partisans du commerce équitable. Ce partage de la responsabilité climatique passe aussi par le versement obligatoire d’une contribution supplémentaire aux organisations de producteurs qui peuvent s’engager dans des démarches environnementales. Chez Biopartenaire, chaque groupement de producteurs peut décider d’investir ce montant dans la formation sur des pratiques environnementales. Claire Touret, déléguée générale de Biopartenaire liste ainsi « la plantation de haies sur les fermes, une étude état des lieux et critères de suivis de la biodiversité des fermes, ou l’utilisation du BiodiScore, un outil de mesure de la biodiversité ».
S’imposer dans les rayons
Si le commerce équitable bénéficie aux agriculteurs, il reste difficile de s’imposer dans les rayons de supermarché. La faute, selon Claire Touret, déléguée générale de Biopartenaire, à « un message un peu complexe et un besoin de mieux illustrer les impacts du commerce équitable » envers les consommateurs, quand des marques comme C’est qui le patron ou Faire France font le pari de miser sur le marketing du « prix juste » (lire encadré).
D’après l’observatoire du commerce équitable 2023, les ventes en chiffre d’affaires toutes filières confondues, progressent légèrement, de 1,8 % entre 2022 et 2023, dans le contexte inflationniste. Mais le commerce équitable bénéficie d’un sursaut national : la même année, les ventes issues des filières françaises ont bondi de 6 %.
Ces dernières années, « c’est le commerce équitable origine France qui tire la demande », observe Vincent Rousselet, directeur de Bioéquitable, un label qui regroupe 5 000 fermes françaises. Entre 2014 et 2023, les ventes de produits issus de filières françaises ont même été multipliées par douze, signe qu’une partie des consommateurs sont prêts à mettre le prix pour soutenir les producteurs locaux. Mais ces derniers ne sont pas les seuls acteurs de cette évolution.
Petites et moyennes entreprise désireuses de sécuriser leur approvisionnement ou grande marque en quête de distinction auprès des consommateurs, ce sont elles désormais qui démarchent les labels pour entamer une transition.
Dernière arrivée en date, le chipsier Brets, leader des chips françaises, a annoncé au Salon international de l’agriculture en février dernier que l’intégralité de sa production passait en commerce équitable avec la labellisation Agriéthique. Un moyen, « de légitimer et formaliser ce qu’on fait depuis des années » auprès des 327 exploitations fournisseuses de pommes de terre, glisse-t-on du côté de Brets. Avec un espoir, que le label reconnu « apporte une valeur supplémentaire » auprès des consommateurs.