Le 29 juin 2025 a fait basculer le quotidien de centaines d’éleveurs bovins des deux Savoies, de l’Ain et de l’Isère. Un premier cas français de dermatose nodulaire contagieuse (DNC), propagée par des mouches piqueuses, était confirmé à Entrelacs (Savoie). Chaque jour, depuis, des éleveurs détectent une fièvre suspecte ou des nodules sur une bête et, sachant le drame qui les attend peut-être, alertent leur vétérinaire. De nouveaux foyers sont confirmés quotidiennement, 33 étaient déclarés au 20 juillet, et des lots d’animaux condamnés à l’abattage sur place. À la peur de la maladie s’ajoute l’épée de Damoclès de l’euthanasie d’un troupeau.
Depuis le début de juillet, plus un bovin n’a le droit de circuler en zone réglementée, dans un rayon de 50 km autour de chaque foyer. Face à ce virus extrêmement contagieux, la stratégie, calée sur la réglementation européenne, repose sur trois piliers : figer les troupeaux pour ne pas propager le virus, euthanasier les lots contaminés pour tarir la source, et vacciner.
Faute de pouvoir rentrer les vaches prêtes, « les éleveurs font vêler au parc et y installent les niches à veau, et on cherche du matériel de traite mobile à prêter », indique Cédric Laboret, président de la chambre d’agriculture Savoie Mont Blanc. « Il y aura de la casse », prévoit Bernard Mogenet, à la tête de la FDSEA. D’autant que le loup rôde. Les dérogations à l’interdiction de mouvement sont rarement accordées pour un vêlage. « Elles sont rarement demandées : personne ne veut risquer de ramener la maladie chez soi », soulignent les élus, tous deux éleveurs laitiers.
Affourrager en estive
Quand l’herbe manque dans un parc, impossible de déplacer les animaux comme il est d’usage en pays savoyard. « On apporte des fourrages sur place, dans des secteurs parfois difficiles d’accès, reprend Cédric Laboret. Les éleveurs qui ont confiné leurs troupeaux commencent à avoir les fosses pleines mais les épandages restent interdits, sauf à respecter un protocole très complexe. »
L’élevage allaitant, notamment dans l’Ain et en Isère, a ses propres soucis. « Faire abattre des bêtes reste possible sous dérogation, même si cela implique de la paperasse, un délai de 72 heures et une visite vétérinaire à nos frais, indique David Rivière, éleveur de charolais à Val-de-Virieu (Isère). La question du maigre est plus problématique. Les broutards ne partent plus. Or chaque jour supplémentaire coûte 5 € par tête. Pour les veaux laitiers, le coût alimentaire est moindre mais il faut de la place en bâtiment. » Toutefois il ne conteste pas les règles : « Nous sommes tous inquiets et voulons endiguer la maladie, après avoir pris de plein fouet la FCO l’an dernier. »
Au Grand-Bornand, à 25 km d’un foyer, Arnaud Missilier ne parle même pas de contraintes. « On pense tellement aux collègues touchés qu’on ne se plaint pas, la seule priorité est de ne pas déplacer la maladie. » Si lui peut continuer à transformer et vendre ses fromages fermiers, des lots sont bloqués dans les coopératives. « Quand un cas est confirmé dans un troupeau, ses livraisons des 28 jours précédents sont condamnées, explique Thomas Dantin, président du syndicat Savoicime. 200 tonnes de fromages valant 2 millions d'euros sont bloquées malgré l’absence de risque pour la santé humaine ! » Il espère une levée rapide de l’interdiction.
« Frapper vite et fort »
Le déploiement de la vaccination, commencée le vendredi 18 juillet, a redonné espoir aux éleveurs. Pour accélérer les chantiers, l’esprit de solidarité a repris le pas sur les tensions qui étaient nées autour des oppositions à l’abattage total. Les éleveurs s’organisent entre voisins et du matériel de contention arrive de partout afin de permettre aux vétérinaires de vacciner à tour de bras.
Groupements de défense sanitaire (GDS), vétérinaires de terrain, vétérinaires retraités, étudiants… Toutes les forces sont mobilisées pour faire blocage à la DNC. L’État a commandé 300 000 doses et 285 000 bovins doivent être vaccinés. Ils seront immunisés 21 jours après l’unique dose injectée par voie sous-cutanée. « Il faut frapper vite et fort », insiste Eric Cardinale, directeur scientifique de la santé animale à l’Anses. Des discussions sont en cours avec le laboratoire sud-africain pour de potentielles nouvelles commandes, mais le spécialiste espère « ne pas en avoir besoin ».
Le vaccin est obligatoire pour tous les bovins situés en zone réglementée (comprenant la zone de protection et la zone de surveillance), quel que soit leur âge. Il est intégralement pris en charge financièrement par l’État. D’après le ministère, la vaccination a débuté « à partir d’un périmètre situé à 20 kilomètres autour des foyers (zone de protection) dans les deux directions : l’une, en direction du centre de la zone de protection pour limiter l’extension de la maladie à partir des foyers et l’autre en direction de l’extérieur de la zone de surveillance pour un effet barrière dans l’ensemble de la zone de surveillance. » En parallèle « une deuxième ligne de vaccination des élevages situés à proximité des foyers sera également engagée ».
Un virus hautement résistant
La ministre de l’agriculture, Annie Genevard, a promis le 18 juillet qu’elle se rendrait en Savoie. « Je voulais y aller spontanément mais on m’en a dissuadé, car réunir des éleveurs, c’est les exposer sanitairement à la maladie. » Le virus de la DNC est hautement résistant, et reste dans l’environnement contaminé. S’approcher d’un foyer augmente alors le risque de devenir porteur, aussi simplement que par un élément de l’environnement contaminé (croûte d’un animal, par exemple) coincé sous sa chaussure, ou par une mouche piqueuse emportée dans sa voiture.
Pour Eric Cardinale, ces risques ne sont pas rares. « Une chance dans ce malheur est que les vecteurs n’ont pas une grande portée de vol, de 1,6 à 6 kilomètres au maximum, explique-t-il. L’écart d’environ 30 km entre deux cas dans les deux Savoies montre bien qu’il s’agit d’un déplacement d’Homme ou d’animaux ».
En cas d’apparition d’un foyer, l’abattage total réglementaire des bovins d’une même unité épidémiologique est jugé indispensable par les spécialistes. « Cela concerne les animaux qui vivent ensemble dans un même environnement au contact les uns des autres », explique Eric Cardinale. C’est pourquoi plusieurs foyers peuvent être déclarés au sein d’une même exploitation.
« Il n’y a pas de solution alternative, confie Jeanne Brugère-Picoux, vétérinaire à la retraite et membre de l’académie vétérinaire de France. C’est terrible pour l’éleveur, mais il faut abattre. » Eric Cardinale est clair, plusieurs méthodes de gestion ont été observées dans le monde, « mais celle-ci est la plus efficace et la plus rapide, bien qu’elle soit terrible du point de vue humain ». « L’abattage partiel est une aberration, estime Jeanne Brugère-Picoux. Ceux qui militent contre l’abattage total favorisent la progression de la maladie, insiste-t-elle. Ils mettent en danger les autres éleveurs. »