Dans un communiqué du Sénat publié le 3 mai 2023, Gérard Larché, président du Sénat, « met en demeure Phyteis de respecter les obligations déontologiques auxquelles les lobbyistes sont assujettis ». Cela fait suite à un signalement effectué par le sénateur Joël Labbé et quatre associations (1) d’un « possible manquement déontologique » de l’organisation.

C’est la première fois que cette procédure est mise en oeuvre au Parlement depuis sa création par la loi « Sapin II » du 9 décembre 2016. Elle n’entraîne pas de sanction pénale, mais est rendue publique.

Phyteis accusé de « chantage à l’emploi »

Lors de l’examen du projet de loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), Phyteis avait contacté plusieurs sénateurs entre novembre 2018 et février 2019 « pour pouvoir continuer de produire, de stocker et de faire circuler en France des pesticides interdits dans l’Union européenne ». D’après Phyteis, l’interdiction de ces produits menaçait 2 700 emplois « directs » et plus de 1 000 emplois « indirects ».

Les auteurs du signalement suspectaient un « chantage à l’emploi », avec « une estimation très exagérée du nombre d’emplois menacés ». Les investigations ont été confiées au comité de déontologie du Sénat, présidé par Arnaud Bazin, qui s’est réuni le 4 avril 2023 après avoir interrogé Phyteis par écrit. « À l’issue de ces investigations, il apparaît que Phyteis a manqué de rigueur et de prudence dans ses contacts avec les sénateurs », estime le communiqué, l’organisme professionnel n’ayant pas été en mesure d’expliquer son évaluation du nombre d’emplois menacés.

Incertitudes sur le nombre d’emplois menacés

« En effet, le lobbyiste n’a pas été en mesure d’expliquer, de manière objective et chiffrée, son évaluation du nombre d’emplois menacés. Cette évaluation paraît d’ailleurs maximaliste : elle suppose que 18 usines auraient pu fermer en France à cause de la mesure d’interdiction, ce qui n’a pas été le cas en pratique », poursuit le Sénat.

« Phyteis n’a pas jugé nécessaire d’informer les sénateurs des hypothèses et des incertitudes entourant son évaluation, qui a eu des conséquences directes sur l’élaboration de la loi », ajoute-t-il. Lors de l’examen au Sénat du projet de loi Pacte, des amendements avaient été adoptés pour supprimer une mesure d’interdiction de production, de stockage et de circulation de certains produits phytopharmaceutiques prévue par la loi Egalim du 30 octobre 2018.

Réécrits à l’Assemblée nationale, ces amendements avaient finalement été censurés par le Conseil constitutionnel comme « cavalier législatif » (sans lien avec le texte). La mesure d’interdiction est donc entrée en vigueur le 1er janvier 2022, comme prévu par la loi Egalim.

Pas de « manipulation délibérée »

Dans un communiqué du 21 février 2023, Phyteis rejette « toute accusation de manipulation délibérée ». « Contrairement à ce que soutient le collectif d’organisations, Phyteis et les entreprises du secteur de la protection des cultures n’ont pas manipulé les parties prenantes institutionnelles lorsqu’elles les ont, en novembre 2018, alertés sur les conséquences sociales et économiques potentielles à court, moyen et long terme de l’article 83 de la loi Egalim (2) sur leurs activités en France », s’est défendue l’organisation.

Pour Phyteis, cette évaluation de 2700 emplois menacés « était la meilleure estimation en novembre 2018 des plans de charge des usines françaises concernées, prenant en compte la dynamique des marchés et les conséquences potentielles de l’article 83 sur la réduction ou suppression des exportations, diminution des volumes produits ».

Ce chiffre « a fait l’objet de réévaluations à mesure que le périmètre d’application du texte s’est précisé, dans un contexte de risque avéré de délocalisation », affirme Phyteis.

(1) Transparency International France, Les Amis de la Terre France, Foodwatch France et l’Institut Veblen