Consommation en baisse, plafonnement des prix, subventions… Les pays dépendants des importations de céréales tentent de trouver des mesures pour limiter les conséquences de la guerre en Ukraine, alors que le pain y est souvent la première source de protéines. En parallèle, le chamboulement des exportations de blés russes et ukrainiens a permis à la France, sur certaines destinations, de récupérer des parts de marché. Plusieurs intervenants étaient invités à la quatorzième matinée export d’Intercéréales, le 15 mars 2023 à Paris, pour en discuter.

La Chine importera, « c’est une tendance irréversible »

Après trois années durant lesquelles les quotas d’importations de céréales et soja ont été dépassés, la Chine a réduit de 10,7 %, en volume ses achats en 2022 par rapport à 2021. En valeur en revanche, celles-ci ont progressé de 27 % du fait de l’envolée des cours.

Pour Intercéréales, il s’agit « d’une baisse tout à fait conjoncturelle » : compte tenu du repli des surfaces arables du pays, de la faible quantité d’eau douce dont il dispose, et de l’évolution des modes de consommation avec une progression de la demande en produits carnés, « la Chine va importer pour couvrir ses besoins en alimentation humaine comme animale. C’est une tendance irréversible ».

En 2022, les difficultés que la Chine a rencontrées pour s’approvisionner en maïs ukrainien ont profité au blé fourrager français sur lequel elle s’est reportée. « À cette époque, il avait un bon rapport de compétitivité », a expliqué Intercéréales.

En Égypte, économie dégradée

En Égypte, la crise ukrainienne s’est ajoutée à « une combinaison de facteurs qui [avaient déjà] contribué à faire pression sur l’économie et la monnaie du pays », a retracé Roland Guiragossian, responsable des bureaux d’Intercéréales pour l’Égypte, l’Algérie, et le Moyen-Orient. « L’absence de Russes et d’Ukrainiens, premier contingent de touristes, a amoindri les ressources du pays, en plus de la hausse des prix des céréales et de l’énergie. »

La livre égyptienne a ainsi perdu 50 % de sa valeur entre mars 2022 et mars 2023. « Et on parle pour les prochaines semaines d’une nouvelle dévaluation, a-t-il alerté. C’est autant de livres supplémentaires que le pays doit aller chercher pour ses importations. » Depuis quelques années, « on constate [donc] une certaine diminution des achats égyptiens avec un repli de la consommation par habitant. Et cette tendance va se poursuivre en 2022-2023. […] Il y a un véritable impact sur la sécurité alimentaire du pays. »

« La France se taille la part du lion cette année »

Au début du conflit, le Gasc (Autorité générale en charge de l’approvisionnement en matières premières) « a réagi très rapidement en passant sur des marchés de gré à gré », avec plus de souplesse sur certains critères. La Russie est restée un fournisseur majeur, raflant des parts de marché que l’Ukraine détenait. Mais la France en a elle aussi grappillé : « Pour la première fois, elle était présente sur le marché égyptien au début de la campagne. On a plutôt tendance à y être à partir de novembre-décembre », a détaillé le spécialiste.

Subventions, pétrole et gaz au Maghreb

Après le déclenchement de la guerre, le Maroc a mis en place un système de subventions pour stabiliser le marché local, permettant à la consommation de blé par habitant de rester stable. Une nouvelle fois, l’absence de l’Ukraine, habituellement très présente sur ce marché, a laissé place aux blés français. « La France se taille la part du lion cette année, même si on n’est pas encore à la fin de la campagne », a commenté Yann Lebeau, responsable des bureaux pour le Maroc et l’Afrique subsaharienne.

En Algérie, la situation diffère quelque peu, puisqu’elle fait partie des pays dont les recettes ont progressé avec les ventes de gaz et de pétrole, leur permettant « d’amortir de choc relativement facilement », a repris Roland Guiragossian. Le changement de son cahier des charges en septembre 2021 avait conduit à une nette baisse de la présence française sur son marché — de près de 90 % en 2019-2020, à 25 % en 2021-2022 — profitant aux origines mer Noire. En 2022-2023, la France atteint 40 % de part de marché.

En Afrique subsaharienne, la consommation baisse

En Afrique subsaharienne, la plupart des pays ont plafonné le prix de la farine et/ou du pain « pour essayer de limiter la casse », a rapporté Yann Lebeau. Malgré ces interventions, les importations cumulées de ces pays ont reculé en 2022. De manière plus ou moins importante selon que ceux-ci ont mis en place des subventions ou maintenu un marché libre : au Nigeria par exemple, les prix ont significativement monté, expliquant en partie le repli de 20 % de ses importations.

« Que mangent les gens à la place ? Un peu de riz et de productions locales, pas forcément suffisantes pour tenir l’année. [Alors] les gens mangent moins. Ils faisaient deux repas par jour, ils n’en font plus qu’un et demi. Le pain est contrôlé un peu partout. S’ils ne peuvent pas augmenter le prix, ils baissent le poids, a-t-il expliqué. On a beaucoup de pays qui montent des silos pour garder un stock de sécurité. Mais après il faut les remplir, et se mettre à produire localement. »

Encore une fois, la France a pu récupérer des parts de marché précédemment détenues par la Russie et l’Ukraine. « Parce qu’il n’y avait pas forcément la possibilité de payer la Russie avec les banques qui bloquaient, et que les importateurs n’avaient pas envie de prendre le risque avec l’Ukraine. […] On va voir ce qu’il se passe sur la fin de la campagne, car on commence à voir des bateaux russes arriver. »