Après un record de production à 106 millions de tonnes de grains en 2021, les récoltes ukrainiennes ont plongé à quelque 73 millions de tonnes en 2022. Une « bonne performance », compte tenu de cette année si particulière, perturbée par le conflit russo-ukrainien, analysait Jean-François Lepy, directeur général de Soufflet Négoce, lors de la quatorzième matinée export d’Interceréales le 15 mars 2023 à Paris.

Les prévisions pour la prochaine récolte tablent toutefois sur un nouveau repli, à 65 millions de tonnes, notamment dû à une baisse des surfaces. Une projection « optimiste », pour Jean-François Lepy : « Je pense qu’il faut plutôt retenir ce chiffre comme un potentiel maximal. »

Rester rentable

Le début de la guerre a marqué la fin de la corrélation entre prix domestique et international en Ukraine, du fait de l’envolée des coûts logistiques et des marges de précaution pratiquées par les négociants. Les engagements pour livraisons, différées eux aussi, ont pris fin, avec des contrats désormais « totalement spot », a retracé Jean-François Lepy. Le prix de la tonne payé aux agriculteurs a donc drastiquement baissé, s’ajoutant à la hausse du coût des intrants et à la dévaluation de la monnaie locale, la Hryvnia, qui a perdu 35 % en 2022.

Les marges par culture ont donc chuté même si elles restent, en moyenne, légèrement positives. « Ce choc de trésorerie ne pourra pas se répéter sans entraîner des faillites, en l’absence de subventions et de crédits suffisants, a-t-il prévenu. Les exploitations vont avoir un mur devant elles avec un véritable enjeu, [celui de] pouvoir continuer à survivre dans un environnement de prix qui ont plutôt tendance à baisser. […] Il faut aussi avoir conscience que les forces vives du pays sont mobilisées dans l’effort de guerre, avec de fait, un outil productif en manque de personnel ».

Adaptation

En adaptant sa logistique puis grâce à l’accord sur le corridor, l’Ukraine a pu retrouver des niveaux d’export « pas si éloignés des niveaux des dernières années, même si inférieurs », a-t-il repris. Les modes d’export ont toutefois évolué, passant de 98 % des grains transportés par voie maritime à 55 % en janvier 2023. Ce même mois, 17 % de la marchandise était exportée via les ports du Danube, 20 % par voie ferroviaire, 8 % par voie terrestre et 1 % par ferry.

« Il y a eu une formidable adaptation, les […] grosses fermes se sont structurées pour aller directement à l’export à travers les corridors terrestres. Ainsi, d’une vingtaine d’exportateurs qui couvraient plus de 90 % des exports de céréales, vous avez peut-être aujourd’hui entre 2 000 et 3 000 exportateurs en plus des acteurs habituels. »

L’état des infrastructures de stockage pose quant à lui question. Sur les 66 millions de tonnes de capacités estimées avant guerre, 6,5 ont été détruites et 2,9 endommagées, « donc réparables ».

Préparer l’avenir

À court terme, le maintien du corridor sera déterminant, mais « tout le monde aurait trop à y perdre s’il prenait fin », a estimé Jean-François Lepy. « Il y a également un enjeu avec les pays européens transfrontaliers, impactés par les corridors terrestres [qui inondent leurs marchés domestiques des céréales ukrainiennes à bas prix] et qui vont perdurer, avec beaucoup de tensions qui commencent à monter ».

À plus long terme, plane la question de l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne. « Cela aura des impacts majeurs sur nos céréales post-guerre ».