L’UFC-que Choisir a présenté le 10 mai 2022 une enquête qui indique que près des deux tiers des produits alimentaires du terroir obtiennent de « bonnes notes » avec le Nutri-Score. Qu’en pensez-vous ?

Je demeure perplexe devant cette communication qui pose plusieurs questions. L’enquête de l’UFC-Que choisir parle à la fois de recettes traditionnelles et de produits régionaux. De quoi s’agit-il précisément ? De produits fait maison réalisés à partir de recettes de grand-mère ou de plats cuisinés, ultra-transformés, vendus par la grande distribution ?

 

L’enquête ne le dit pas. Elle omet aussi de dire que 90 % des fromages sont classés D ou E par le Nutri-Score, tout comme 95 % des AOP. L’autre paramètre qui me trouble dans cette étude, est que 62 % des produits étudiés sont dits « bien notés » parce que classés en A, B et C. 23 % sont en C.

 

Il faudra m’expliquer en quoi ceci est une bonne note, et convaincre par la même occasion les producteurs d’huile d’olive classée C que ce score, dans l’esprit du consommateur, reflète une bonne note. De manière étrange, si vous regardez les résultats de l’étude de l’UFC-Que choisir, 61 % des produits sont notés C, D ou E. Bref, en changeant de prisme, il est possible de se rendre compte assez facilement que l’on fait dire ce que l’on veut à ces scores. Tout cela est une question de point de vue militant. Cette étiquetage relève du dogme, du prêt-à-penser et du prêt-à-manger.

Alors que la Commission européenne doit choisir d’ici à la fin de l’année le format de l’étiquetage nutritionnel obligatoire des produits alimentaires, lequel défendez-vous ?

Ca n’est pas mon rôle de défendre tel ou tel système d’étiquetage. J’observe simplement que le Nutri-Score est un contresens pour un fromage AOP ou IGP. Nous obéissons à des cahiers des charges qui sont le fruit de l’histoire, à des recettes déjà clairement affichées et que nous ne pouvons pas changer. Ces scores doivent être réservés aux produits industriels. Les produits sous appellation géographique doivent en être exemptés. C’est notre combat. Les fromages ont des atouts santé qui sont reconnus, au point que la consommation de produits laitiers dans la limite de deux par jour et de 30 g pour le fromage, est recommandée.

 

Le Nutri-Score prétend de son côté se placer sur le terrain nutritionnel. Mais il ne tient pas compte des oligoéléments, des vitamines, etc. Il ne propose pas non plus d’éducation à la portion : il est calculé sur 100 g ou 100 ml, ce qui ne correspond ni aux portions consommées ou recommandées. Il surpénalise par ailleurs les acides gras saturés alors que tous ne se valent pas. Enfin, il ne différencie pas une matrice naturelle, bénéfique pour la santé, d’une matrice ultra-transformée.

 

Cet étiquetage favorise les produits ultra-transformés qui recourent à des additifs ou à des procédés de transformation complexes pour améliorer leurs notes.

Sébastien Vignette, secrétaire général de la Confédération générale de Roquefort

Certains promoteurs du Nutri-Score parlent d’ajouter un halo noir autour de produits ultra-transformés classés vert. Mais quelle lisibilité pour le consommateur ? Faut-il mieux consommer un fromage AOP peu transformé, noté D ou E ou un ersatz de fromage dans lequel le sel a été remplacé par un conservateur chimique et le gras par des texturants, de l’amidon ou autre, qui lui auront permis d’améliorer sa note ? Aussi injuste qu’infantilisant, cet étiquetage favorise les produits ultra-transformés qui recourent à des additifs ou à des procédés de transformation complexes pour améliorer leurs notes.

Les systèmes d’étiquetage qui tiennent compte du degré de transformation vous semble-t-il plus adaptés ?

Plusieurs systèmes d’étiquetage existent en effet. Les Italiens ont par exemple proposé un système différent qui s’appelle le Nutrinform, avec des dessins de batteries plus ou moins chargées. Cet étiquetage est plus intéressant que le Nutri-Score, parce qu’il n’est pas dans la punition ou un conditionnement vert et rouge. Il informe sur la contribution d’une portion par rapport aux apports journaliers, dans les principales catégories de nutriments.

 

Cependant, même les Italiens indiquent qu’ils ne souhaitent pas forcément l’appliquer à leurs produits AOP ou IGP, parce qu’ils restent régis par un cahier des charges qui, dans les grandes lignes, n’est pas modifiable. Ce modèle est aussi imparfait : les micronutriments d’intérêt ne sont pas traités, tout comme le degré de transformation.

 

En parallèle, il existe en effet des initiatives privées comme Siga qui renseigne sur le degré de transformation des produits. Mais ce n’est pas mon rôle de prendre parti pour un système. Mon combat est de faire vivre les logos AOP et IGP. Et nous ne voulons pas d’une notation qui les mette sur le même plan que des produits ultra-transformés.

 

C’est pourquoi nous souhaitons être exempts de ce type d’étiquetage. À moins de proposer un score qui corrigerait tous les défauts des autres… À savoir qu’il considère les nutriments d’intérêt, les protéines et le calcium, qu’il ne surpénalise pas les acides gras saturés quand ils sont dans une matrice naturelle, qu’il tienne compte d’une éducation à la portion et à la quantité, du degré de transformation, du recours aux additifs, etc. Cela fait beaucoup de paramètres à résoudre avant d’obtenir un système opérant.