Les conditions de culture de l’hémisphère Nord sont sous le feu des projecteurs, avec en tête les différents bassins de production de blé russe en proie au sud à la sécheresse, et plus au centre au gel. Du côté du Brésil, la fin des récoltes de soja est perturbée par les récentes inondations, source de fermeté pour le complexe oléagineux. Au milieu de ces incertitudes, les regards se tourneront vers le rapport mensuel de l’USDA (ministère américain de l’Agriculture) et son premier bilan sur la nouvelle campagne ce 10 mai 2024 à 18 heures.

Retour du blé au plus haut depuis l’été dernier

La tension monte en blé à mesure que les risques climatiques s’intensifient. Les dernières pluies sont restées trop locales et hétérogènes pour combler le déficit hydrique qui s’aggrave depuis deux mois sur le sud de la Russie. S’y ajoutent, depuis le week-end dernier, des gelées nocturnes sur les régions Centre, Volga et Sud.

En Europe de l’Ouest et aux États-Unis, la situation s’améliore très légèrement. Les blés d’hiver français comme américains voient leur état « bon à excellent » progresser de 1 point sur la semaine passée à respectivement 64 % en France, selon FranceAgriMer, et 50 % aux États-Unis, selon l’USDA.

Le marché du blé profite également des déboires du maïs avec une humidité excessive qui retarde les semis en Europe et aux États-Unis, un temps trop sec sur le centre du Brésil, des inondations sur le sud et enfin avec une perte de près de 20 % de la production en Argentine à la suite d'attaques de cicadelles.

La hausse du blé est principalement alimentée par les fonds qui continuent de racheter leurs positions « short » sur le marché à terme de Chicago et renforcent leurs positions désormais « longue » sur Euronext à Paris.

Les acheteurs internationaux reviennent peu à peu aux achats à l’image de l’Égypte qui a acheté mercredi 8 mai 2024 320 000 tonnes de blé russe et 60 000 tonnes de blé roumain sur le mois de juin à 279 $/t CAF. C’est 23 $/t de plus que son dernier achat du 16 avril.

Dans ce contexte, le blé rendu Rouen de la nouvelle campagne s’affiche désormais à 239 €/t, en hausse de 18 €/t sur la semaine écoulée. C’est un retour au plus haut depuis la fin de juillet 2023.

L’orge fourragère progresse moins que le blé

Le marché de l’orge fourragère profite par sympathie des inquiétudes climatiques qui stimulent les rachats de positions de la part des fonds sur les marchés à terme et portent les cours du blé au plus haut depuis neuf mois.

Outre l’excès d’humidité en Europe de l’Ouest et le combiné sec et gel en Russie, les opérateurs surveillent la dégradation des conditions de semis chez les autres grands exportateurs d’orges. Au Canada, l’humidité devient progressivement excessive tandis qu’au contraire le déficit hydrique s’aggrave sur l’ouest de l’Australie.

Après une récente vague d’achats notamment en France, la Chine se montre désormais discrète sur les achats d’orges, notamment en nouvelle campagne. Il en résulte une forte dégradation de la prime de l’orge fourragère qui passe sous les –30 €/t à Rouen, au plus bas depuis deux ans et demi.

Ainsi, l’orge fourragère rendu Rouen de la récolte de2024 n’a progressé que de 10 €/t sur la semaine écoulée quand le blé en a gagné près du double. Elle s’affiche désormais à 210 €/t base juillet rendu Rouen, au plus haut depuis octobre dernier.

De son côté, le marché brassicole conserve sa fermeté avec un gain supplémentaire de 5 €/t sur la semaine pour la variété Planet à 274 €/t base juillet Fob Creil en récolte de 2024. La prime brassicole conserve une valeur historiquement élevée dans l’attente de précisions sur la récolte à venir au niveau quantitatif comme qualitatif.

La graine de colza français au plus haut depuis 10 mois

La volatilité est bien de retour sur les cours du colza, la période de risques climatiques tenant toutes ses promesses. En effet, la graine de colza Fob Moselle gagne cette semaine 10 €/t, pour revenir à 476 €/t nouvelle récolte. Il faut remonter à juillet dernier pour revoir de tels niveaux de prix.

Au nord-ouest de l’Europe, l’excès de précipitations des derniers mois et le manque d’ensoleillement alimentent toujours les craintes des opérateurs. Ainsi, toutes révisions des potentiels de production entraîneront automatiquement une hausse des besoins d’importation.

Malgré une récolte attendue proche des niveaux records de l’an passé en Ukraine, les disponibilités du pays ne suffiront pas à alimenter la demande globale sur l’ensemble de la campagne. Et c’est du côté des deux autres grands exportateurs que sont entretenues les incertitudes. En Australie, les surfaces de canola sont attendues en baisse, au moment où les semis débutent, notamment pénalisés par un excès de sécheresse dans l’ouest et au sud du pays. Au Canada, la trituration reste très dynamique, limitant les volumes disponibles à l’exportation. D’ailleurs, les stocks domestiques de canola ressortent au 31 mars à 8,26 millions de tonnes selon Statcan, légèrement en dessous des attentes des opérateurs.

Outre les craintes d’approvisionnement du Vieux Continent en nouvelle campagne, les prix de l’huile de colza européenne restent fermes vis-à-vis des autres huiles végétales et contribuent à la fermeté de la graine. Pour autant, le marché des huiles intègre une reconstitution plus forte qu’attendue des stocks d’huile de palme en Malaisie. D’un côté, la reprise saisonnière de production s’enclenche, quand de l’autre les exportations se tarissent, ces dernières étant pénalisées par une huile de tournesol plus compétitive.

Les incertitudes météo alimentent le rebond des cours des tourteaux de soja

Le mouvement de rebond observé la semaine dernière sur le marché des tourteaux de soja s’est poursuivi. En effet, les incertitudes climatiques succèdent aux grèves en Argentine comme principale source de volatilité. Le prix des tourteaux de soja revient sur des niveaux abandonnés depuis février dernier à 458 €/t sur le spot délivré Montoir, après une hausse hebdomadaire de 16 €/t.

Si les fondamentaux pour les graines et les tourteaux de soja restent confortables à l’échelle mondiale, et notamment aux États-Unis, l’ouverture de la période de risque climatique est source de volatilité sur les cours. Bien que la hausse des surfaces américaines rassure, l’excès de précipitations pourrait pénaliser localement l’avancée des semis au cours des prochaines semaines. Pour l’instant, la progression des semis s’affiche au 5 mai à 25 %, à comparer d’une part aux 28 % attendus par les opérateurs et d’autre part aux 21 % en moyenne quinquennale.

Le weather market continue également d’être au centre de l’attention en Amérique latine. Du côté de l’Argentine, les récoltes de soja sont réalisées à hauteur de 47,8 %. Les conditions de culture restent aussi globalement satisfaisantes pour le moment, avec 27 % des surfaces en bonnes ou excellentes conditions, contre seulement 5 % l’an passé à la même date.

Les incertitudes se portent davantage sur le Brésil. La région du Rio Grande do Sul a récemment subi des inondations, alors que 25 % du soja n’y est toujours pas récolté. Dans ce contexte, il sera d’autant plus intéressant de suivre les prévisions de l’USDA dans son rapport mensuel de ce soir, à l’heure où l’écart entre son chiffre et celui de la Conab (Compagnie nationale d’approvisionnement du Brésil) est encore important.

(1) Argus Media, société spécialisée dans le suivi des marchés des matières premières, nous livre son analyse agricole hebdomadaire.

À suivre : potentiels de production en Europe, en mer Noire et aux États-Unis ; évolution des semis de maïs et de soja aux États-Unis ; le climat en Amérique du Sud ; évolution de la demande mondiale ; compétitivité du blé et de l’orge français ; rapport mensuel de l’USDA sur l’état des bilans en nouvelle campagne ce 10 mai à 18 heures.