« Il y a trois éléments qui influencent vraiment les prix des produits agricoles », estime Erik Norland, chef économiste chez CME Group. Il les a développés le 21 mars 2024 à l’occasion d’échanges organisés par l’Association française des techniciens de l’alimentation et des productions animales (Aftaa).

Erik Norland, chef economiste chez CME group lors de la journée de l'Aftaa du 21 mars 2024. (©  Hélène Parisot/GFA)

1. Le marché de l’énergie

« Les marchés agricoles et ceux de l’énergie sont très liés, commence-t-il. Lorsqu’on met en parallèle les prix du pétrole brut et les prix du maïs, on voit qu’ils varient dans le même sens. »

Il y a, selon lui, deux raisons à cela :

  • d’un côté, la production nécessite une quantité importante d’énergie (engrais, carburants…);
  • de l’autre, le maïs est aussi utilisé comme énergie, via la production d’éthanol. « La relation est aussi assez forte pour le blé et pour le soja », note-t-il.

« Ce qui est surprenant actuellement, c’est que le prix du pétrole soit “aussi bas” dans un contexte de guerre en Ukraine, de réduction de la production de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), et de tensions en mer Rouge. Et le marché anticipe que les prix du pétrole vont encore baisser un peu d’ici à deux ans, tout comme ceux du maïs, du blé et du soja. »

Cela s’explique notamment par la hausse de production des pays non-membres de l’Opep, États-Unis en tête, et surtout par le ralentissement de l’économie chinoise.

2. L’économie chinoise

« On constate une relation entre la croissance chinoise et le prix des matières premières : les prix du maïs suivent l’évolution de l’indice “Li Keqiang” avec un délai de six trimestres », poursuit Erik Norland. Les économistes se basent sur cet indice, qui combine trois indicateurs (le fret ferroviaire, la consommation d’électricité et le nombre de prêts bancaires), pour estimer au mieux le niveau de croissance économique réel de la Chine. « Il donne une variation de PIB plus importante que les chiffres officiels », indique-t-il.

« Cette relation est aussi constatée pour le blé, avec un retard de quatre, cinq trimestres, ou encore avec la farine et l’huile de soja. L’huile de soja est par ailleurs souvent un indicateur de ce qui se passera plus tard sur le marché du pétrole brut. »

Il est à noter que la Chine est le premier pays importateur de pétrole dans le monde. « Elle importe environ 10 millions de barils par jour, ce qui correspond à 9-10 % de la production mondiale », chiffre l’expert. La demande du pays pèse lourdement sur le marché de l’or noir. « Ces dernières années, les pics de croissance de la Chine (2007, 2010, 2017 et 2021) ont été suivis par un pic du prix du pétrole, avec un retard de douze mois (2008, 2011, 2018 et 2022). »

L’économiste précise qu’actuellement, la croissance chinoise est impactée par les niveaux très élevés de la dette publique, des entreprises et des ménages.

3. Les économies des autres pays

« En dehors de la Chine, tous les pays ont connu le choc de l’inflation, retrace Erik Norland.

Cela résulte de deux choses :

  • Des problèmes d’approvisionnement,
  • Une très forte vague des dépenses publiques. Les banques centrales ont augmenté leurs taux d’intérêt dans la quasi-totalité des pays, à l’exception de la Chine. Cela aura un effet sur l’économie mondiale et risque de ralentir notre économie, de ralentir le rythme des exportations chinoises et de mettre encore la pression sur les matières premières. »

S’il signale que « le marché anticipe des baisses de taux de 1 ou 2 % en 2024 et 2025 », il craint d’autres vagues inflationnistes. Le contexte pourrait s’y prêter selon lui, avec « une tendance au protectionnisme, qui peut être inflationniste, et les tensions géopolitiques nombreuses, provoquant de très fortes hausses des dépenses militaires. »

Il est à noter que les banques centrales américaine et européenne ont davantage rehaussé les taux à court terme que ceux à long terme. « Aux États-Unis, cette inversion de la courbe des taux est souvent suivie par une récession », commente-t-il. Il estime probable une crise économique aux États-Unis à la fin de cette année ou l’année prochaine.

« En Amérique latine, la hausse des taux a été plus rapide qu’en Europe et qu’aux États-Unis. La majorité des pays sont déjà dans la récession. Les devises sont relativement faibles. Au Brésil, exportateur majeur de maïs et de soja, cela a un impact assez négatif sur les prix de ces matières. »