Les rapports mensuels de la Conab (Compagnie nationale d’approvisionnement du Brésil) et de l’USDA (ministère américain de l’Agriculture) rappellent la lourdeur présente sur les marchés du blé, du maïs et du soja. Dans le même temps, les inquiétudes sont toujours fortes face aux conditions de culture pour la nouvelle récolte venant apporter de l’incertitude aux marchés.

Temporisation en attendant la nouvelle récolte

Depuis la fin du mois de mars 2024, les prix du blé rendu Rouen tentent de se stabiliser. Entre lourdeur sur cette fin de campagne et les mauvaises conditions de culture sur la nouvelle récolte, les opérateurs temporisent. Le blé rendu Rouen s’échange à 189,5 €/t le 12 avril 2024, soit une variation de +1,5 €/t par rapport à la semaine passée.

Il faut toutefois noter que les prix sont montés à 193,25 €/t le jeudi 11 avril 2024, avant le rapport mensuel de l’USDA. Cette correction a en effet été entraînée par les nouvelles estimations des stocks de blé américains et européens en hausse, témoignant de la lourdeur du marché et d’un manque de compétitivité à l’exportation.

En effet, les exportations européennes ont été abaissées de 2 millions de tonnes. À noter que 19 000 tonnes de blé américain ont toutefois été vendues cette semaine à l’Algérie, mais les exportations de blé outre-Atlantique restent bien en dessous des attentes des analystes. Du côté de la mer Noire, les exportations ukrainiennes et russes ont été revues en hausse de respectivement 1 million de tonnes et 1,5 million de tonnes. Si les prix du blé semblent se stabiliser, c’est parce qu’outre ces fondamentaux confortables sur la campagne actuelle, la nouvelle récolte inquiète les opérateurs.

En ce début de printemps, les conditions de culture se dégradent en Europe. À l’ouest du Vieux Continent, les pluies incessantes ont endommagé les cultures d’hiver. À titre d’exemple, FranceAgriMer a encore une fois abaissé d’un point, la part des blés en bon ou excellent état chutant à seulement 64 % contre 95 % l’année dernière à la même date. Dans le même temps, le sud de l’Europe voit ses sols s’assécher par manque de précipitations, tout comme en Russie. Les estimations de production de blés russes restent élevées, Argus Media projetant 92,1 millions de tonnes pour la récolte de 2024. Ce potentiel reste toutefois tributaire de la météo des prochaines semaines.

Nouvelles incertitudes sur la production de maïs sud-américain

Cette semaine, le cours du maïs rendu Bordeaux regagne +3 €/t en revenant à 183 €/tonnes, son plus haut niveau depuis la mi-janvier dernier. Si le maïs reste l’élément de lourdeur du complexe céréalier, les incertitudes se multiplient.

Sur l’ancienne campagne, les exportations ukrainiennes se maintiennent à un rythme soutenu, malgré l’annulation de quelques bateaux chinois. D’ailleurs, plus de 900 000 tonnes étaient exportées la semaine dernière. Cependant, cette cadence devrait s’apaiser, les volumes restant à exporter sur les six derniers mois de campagne s’épuisant, et chutant à un plus bas depuis trois ans.

Mais, toute l’attention se concentre sur l’Amérique du Sud, épicentre de nouvelles interrogations. Au Brésil, la Conab abaisse son estimation de production de maïs sous les 111 millions de tonnes, quand l’USDA se montre plus conservateur, reconduisant son chiffre à 124 millions de tonnes. Ainsi, plus de 13 millions de tonnes séparent les estimations des deux instituts.

Dans le même temps, les analystes argentins font part de leurs inquiétudes après l’augmentation locale de la pression pathogène causée par le spiroplasme. La Bourse de Rosario a coupé de –6,5 millions de tonnes à 50,5 millions de tonnes sa prévision de récolte de maïs 2024, avant que la Bourse de Buenos Aires ne projette 49,5 millions de tonnes. Une fois encore, l’office américain se montre plus prudent, ne réduisant son estimation que de 1 million de tonnes à 55 millions de tonnes. Toute inquiétude sur l’offre sud-américaine accentue d’autant l’importance des États-Unis sur la scène internationale. La progression des semis américains sera donc sous étroite surveillance, à l’heure où 3 % des surfaces sont ensemencées.

Bilan fragile pour la graine de colza en 2024-2025

Le colza profite des éléments de tension sur le marché du pétrole pour réaliser un nouveau plus haut sommet depuis septembre 2023. La graine Fob Moselle gagne au cours de la semaine +26 €/t pour atteindre 453 €/t. À la coupe d’extraction maintenue par les membres de l’Opep + jusqu’à juin, l’offre de pétrole est également menacée par les différents conflits géopolitiques. Entre les raffineries prises pour cible en Russie par des attaques ukrainiennes et l’escalade des tensions au Moyen-Orient, l’approvisionnement de la demande mondiale est menacé.

Le secteur des huiles végétales toujours limité par la baisse saisonnière de production de palme en Malaisie conserve sa dynamique haussière en place depuis plus de 2 mois. À Rotterdam, l’huile de colza retrouve son niveau le plus haut depuis novembre dernier à 950 €/t. Les industriels accompagnent cette hausse des prix en maintenant une activité soutenue. En Europe, la trituration réalise un quatrième record mensuel consécutif en février à plus de 1,7 million de tonnes sur ce dernier mois. L’objectif annuel de 26 millions de tonnes semble réalisable à date.

Toutefois, des limites se profilent quant à l’approvisionnement en matières premières sur la prochaine campagne. La baisse des surfaces à l’échelle européenne constitue le premier facteur limitant auquel s’est ajoutée dernièrement la dégradation des conditions de cultures. La récolte en Europe pourrait ainsi atteindre 19,4 millions de tonnes selon Argus Media soit plus de 2 millions de tonnes de moins qu’en 2023. L’Union européenne sera donc encore plus dépendante aux importations, dans un contexte où le Canada privilégie la trituration locale au détriment des exportations, créant une dépendance aux productions ukrainiennes et australiennes.

Repli des tourteaux de soja

L’activité de trituration est exceptionnelle depuis plusieurs mois à l’échelle mondiale. L’Union européenne enchaîne les records mensuels. Aux États-Unis, la situation est identique. Selon les chiffres de la Nopa (Association nationale des transformateurs d’oléagineux), la trituration américaine de soja dépasse 35 Mt entre septembre et le mois de février, soit près de 2 millions de tonnes de plus que lors de la précédente campagne. L’arrivée imminente des récoltes sud-américaines profitera aux usines brésiliennes et argentines.

Toutefois, des questions persistent quant au niveau de production dans cette partie du monde. Au Brésil notamment, l’écart se creuse entre les estimations de la Conab et de l’USDA. L’institut brésilien revoit ses attentes en légère baisse de 0,3 million de tonnes par rapport au mois précédent désormais, à 146,52 millions de tonnes. Le ministère de l’Agriculture américain a créé la surprise chez les opérateurs au lendemain de sa publication mensuelle en conservant son chiffre de 155 millions de tonnes. En Argentine, les avis convergent vers une récolte légèrement supérieure à 50 millions de tonnes. Un tel bilan sud-américain rassure les acheteurs et pousse le tourteau de soja délivré Montoir à se replier juste sous les 430 €/t en spot, sur son niveau le plus bas depuis décembre 2021.

En ce qui concerne les tourteaux de colza et de tournesol, les discussions autour de la mise en place d’une taxe sur les matières premières importées de la Russie entraînent un léger rebond des prix. Ainsi, le tourteau de colza à Montoir rebondit depuis le début du mois de mars de +11 % et évolue près des 300 €/t.

(1) Argus Media, société spécialisée dans le suivi des marchés des matières premières, nous livre son analyse agricole hebdomadaire.

À suivre : Conditions de culture en Europe de l’Ouest et manque de pluies dans le sud de la Russie ; poursuite des bonnes performances des exportations russes et ukrainiennes ; production de maïs sud-américaine : Spiroplasma sur les maïs argentins, évolution de l’écart des estimations entre la Conab et l’USDA ; évolution des semis de soja et de maïs aux États-Unis ; accélération de la trituration sur les continents européen et américain ; repli de la parité euro/dollar.