« On est extrêmement déçus. Le problème est crucial pour les céréales. Entre 2021 et 2023, les importations de blé ukrainien dans l’Union européenne ont été multipliées par vingt. On est passé de 215 000 tonnes de blé en 2021 à 5 millions de tonnes en 2023 », a déclaré à l’AFP Eric Thirouin, le président de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB).
Pour tenter de répondre à la colère des agriculteurs, Bruxelles a en effet annoncé pour les produits « sensibles » — volaille, œufs et sucre -, un « frein d’urgence » pour limiter le volume des importations aux niveaux moyens observés en 2022 et 2023, niveaux au-delà desquels des droits de douane seraient réimposés.
Revenir à un quota pour les céréales
« Il faut trouver le juste équilibre entre la solidarité avec l’Ukraine et les conséquences sur l’agriculture européenne. En supprimant les droits de douane, l’Union européenne a créé un appel d’air qui génère aujourd’hui des distorsions de marché très difficiles, dans un contexte de hausse des coûts de production et de baisse des prix (sur les marchés) », estime Eric Thirouin.
Pour les céréaliers français, il faut revenir à un « contingent » ou quota de céréales au-delà duquel les droits de douane doivent de nouveau s’appliquer, plaidant pour un quota « inférieur à 2 millions de tonnes, comme c’était le cas avant la guerre ».
S’attaquer aux distorsions de concurrence
Alors que depuis fin 2023, les flux d’exportation de produits agricoles ukrainiens passent de nouveau très majoritairement par la voie maritime, l’AGPB souligne qu’il est « très difficile de mesurer ce qui entre et sort de l’UE ». « Ce n’est pas parce que ces flux prennent la mer qu’ils ne reviennent pas en Europe, dont le marché est sur attractif — meilleure valorisation, sécurité de paiement, absence de droits de douane… Ils vont de plus en plus dans le sud de l’Europe, en Italie, en Espagne… », explique Philippe Heusèle, secrétaire général de l’AGPB.
L’AGPB juge urgent de s’attaquer aux distorsions de concurrence, qui touchent « en premier lieu les voisins immédiats de l’Ukraine (Pologne, Roumanie, Bulgarie) ». « Ces pays voisins sont en train de vouloir instaurer des licences à l’importation, ce qui est complètement antinomique du droit communautaire. Au-delà des céréales, c’est un ferment de dislocation du marché unique européen » , prévient Philippe Heusèle.
Trouver un juste équilibre
Les organisations agricoles européennes, dont le Copa-Cogeca, ont elles aussi jugé « inacceptable » l’exclusion des autres produits d’un tel mécanisme. Elles s’alignent également sur les propos de l’AGPB concernant les licences à l’importation : « le système actuel de licences convenu entre l’Ukraine et certains États membres, tels que la Roumanie et la Bulgarie, pour les céréales et les graines oléagineuses, ne constitue pas une solution efficace à l’échelle de l’UE et menace l’intégrité du marché unique de l’UE », ont-elles averti par communiqué.
Elles appellent ainsi le Conseil et le Parlement européen à « trouver un juste équilibre » dans leurs discussions et propositions, en incluant notamment les céréales et les oléagineux dans le plan de sauvegarde, et en prenant en compte la moyenne des années 2021 et 2022.
Le gouvernement français veut « aborder la question des céréales »
Dans son discours le 1er février 2024, le premier ministre Gabriel Attal a indiqué que « sur l’Ukraine, nous avançons avec la création de clauses de sauvegarde notamment sur la volaille. Il faudra que nous abordions la question des céréales dans le cadre de la négociation qui s’ouvre. »
« Nous avons un devoir de solidarité avec l’Ukraine, a complété le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau. Mais force est de constater que l’ouverture sans conditions, sans limites a conduit à déstabiliser certaines filières, je pense notamment à la viande, à la volaille, aux œufs, au sucre et aux céréales. Déstabiliser le marché européen ce n’est pas notre intérêt mais ce n’est pas non plus l’intérêt des ukrainiens.»
« La mise en place, dans la prolongation de l’accord proposé hier par la Commission, de clauses de sauvegarde et non d’une mesure d’équilibre est une bonne nouvelle, a-t-il ajouté. La condition de déclenchement doit être adaptée conformément aux demandes françaises et étendue aux céréales pour éviter les effets indésirés et rendre effectives ces clauses.»
Les producteurs de sucre insatisfaits
La CGB, Confédération générale des planteurs de betteraves, a de son côté salué « une avancée » du projet de règlement, qui propose la mise en place d’un contingent d’environ 300 000 tonnes de sucre à partir de juin 2024.
Mais cette date d’entrée en vigueur ne satisfait pas l’organisation, qui estime que les importations massives continueront entre-temps : « 700 000 tonnes pour la campagne en cours contre 20 000 tonnes avant la guerre », alerte-t-elle. La CGB appelle donc « le Parlement et le Conseil à aller plus loin, en supprimant ce contingent, sans délai ».