L’histoire

Adèle, propriétaire d’un ensemble de parcelles à vocation herbagère, l’avait donné à bail à l’une de ses filles, Armelle. Elle était décédée le 9 mai 2011, en laissant pour lui succéder cette dernière et son autre fille, Lucile. Lors du règlement de la succession d’Adèle, Lucile avait soulevé devant le notaire une difficulté concernant les fermages impayés par Armelle dus à leur mère entre le 1er janvier 1994 et la fin de l’année 2005.

Le contentieux

Aucun accord n’ayant pu être trouvé, Lucile avait assigné sa sœur devant le tribunal judiciaire en ouverture et liquidation de la succession de leur mère. Elle avait demandé au juge de réintégrer le montant des fermages dus par Armelle dans l’actif de la succession de la défunte.

Lucile avait fondé sa demande sur l’article 843 du code civil. Selon ce texte, tout héritier doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs directement ou indirectement. Or depuis de nombreuses années, Armelle avait, en plein accord avec sa mère, cessé de payer le fermage. Aussi, cette dette d’Armelle à l’égard de la succession d’Adèle, bailleresse, devait être regardée comme une donation rapportable à la succession.

« Elle avait en accord avec sa mère, cessé de payer le fermage »

Pourtant, cette qualification s’imposait-elle ? Pour Lucile la réponse était négative. Les fermages qu’elle aurait dû régler à sa mère, Armelle, depuis le 1er janvier 1994 jusqu’en 2005 constituaient bien une dette au titre du bail, mais qui n’avait pas d’existence au jour du règlement de la succession, car les loyers, échus depuis plus de cinq ans, étaient prescrits à cette date. Aussi, la demande de rapport à la succession de cette dette n’était pas recevable puisque seule une dette existante peut faire l’objet d’une libéralité. La réintégration des fermages non réglés dans l’actif de la succession d’Adèle devait être écartée.

Les juges avaient pourtant pris fait et cause pour la demande de Lucile. Ils avaient souverainement retenu que la renonciation d’Adèle à recouvrer les fermages échus entre 1994 et 2005 l’avait été dans une intention libérale. Et la remise des fermages était intervenue à une époque où ceux-ci n’étaient pas prescrits. Il s’agissait bien d’une libéralité, consentie par Adèle à sa fille Armelle, rapportable à la succession. Saisie par Armelle, la Cour de cassation n’a pu que se retrancher derrière l’appréciation souveraine des juges du fond (Arrêt de la Cour de cassation du 21 septembre 2022, pourvoi n° 20-22.139).

L’épilogue

Armelle devra bien réintégrer dans l’actif de la succession le montant des fermages. L’opération pourra lui paraître sévère alors qu’elle se croyait à l’abri de toute réclamation au titre de ces fermages bien anciens. Mais le droit des successions établi par le code civil doit l’emporter afin de préserver l’égalité entre les copartageants. Il n’en va autrement que si le défunt a prévu, par une disposition spéciale, que la donation est faite hors part successorale.