L’histoire. La vie de couple n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Elle peut même avoir des conséquences insoupçonnées sur le sort de l’exploitation. Paul et Marie, tous deux agriculteurs, avaient pris à bail, au début de leur mariage, un ensemble de parcelles de près de 135 hectares. L’exploitation de polyculture-élevage se développait dans des conditions enviées par les voisins. Après quinze années de bonheur et de réussite, le vent avait soufflé en tempête au sein du couple. Les époux avaient décidé de se séparer et le divorce avait été prononcé. Quel sort devait alors être réservé au bail ?

Le contentieux. Apprenant cette séparation, le bailleur avait saisi le tribunal paritaire en résiliation du bail, en soutenant que la condition de solidarité attachée à la qualité de copreneur de Paul et de Marie n’était plus remplie. De leur côté, ces derniers avaient chacun demandé à poursuivre le bail à leur seul nom. Ils invoquaient tous deux le nouveau dispositif de l’article L. 411-35 du code rural, issu de la loi d’avenir agricole du 13 octobre 2014. Il offre la possibilité à l’un des copreneurs de demander de poursuivre le bail à son seul nom, lorsque l’autre a cessé de participer à l’exploitation du bien loué. Le bailleur peut s’y opposer.

Le tribunal paritaire ne s’était pas prononcé sur la question de l’attribution préférentielle du bail au profit de Paul ou de Marie. Les juges avaient préféré prononcer la résiliation du contrat, et ordonner l’expulsion des ex-époux copreneurs. Mais, saisie par toutes les parties, la cour d’appel avait procédé à une tout autre analyse de la situation. Elle avait écarté la demande de résiliation. Pourquoi mettre fin au bail, alors que l’ex-époux, copreneur, avait exploité seul depuis plusieurs années les parcelles, sans incident de gestion, et en avait conservé l’entière jouissance ?

Concernant la poursuite du bail, la question se posait de savoir qui, de Paul ou de Marie, devait avoir la préférence. Pour la cour d’appel, la demande d’attribution de Paul devait être accueillie. Il maîtrisait personnellement l’exploitation des terres louées, respectait le contrôle des structures et les intérêts légitimes du bailleur n’étaient pas menacés.

En revanche, celle de Marie devait être écartée. Depuis 2008, elle n’avait pas participé à la mise en valeur des terres louées et elle avait reçu une injonction de transférer définitivement les droits à paiement des aides européennes à son ex-époux. Au vu de ces éléments, Marie ne se trouvait pas dans la situation de prétendre à l’attribution exclusive du bail. La Cour de cassation n’a pu qu’approuver cette analyse économique de l’exploitation et a rejeté le pourvoi de Marie.

L’épilogue. L’outil de travail de Paul a été sauvegardé. Pour apprécier la légitimité de la demande de poursuite du bail par l’un des copreneurs resté sur place à la suite du départ de l’autre, les juges tiennent compte de l’aptitude de ce dernier à gérer l’exploitation louée et à s’y maintenir, et de l’intérêt légitime du bailleur.