L’histoire
Il est fréquent que les parents fassent une donation de leur patrimoine foncier au profit de leurs enfants avec réserve d’usufruit. Pour autant, ils ne pensent pas toujours aux difficultés que l’opération peut susciter par la suite lors du partage des biens à leur décès. Michel et Thérèse, qui mettaient en valeur une ferme herbagère en Thiérache, avaient ainsi alloti leurs deux fils, avec réserve d’usufruit. Au décès de son époux, Thérèse avait poursuivi quelques années l’exploitation de la ferme, avant de la donner à bail en 2000 à Paul, son fils cadet.
À son décès, les difficultés sont survenues. Pierre, l’aîné et nu-propriétaire des biens, avait assigné son frère en annulation du bail consenti sans son accord par leur mère usufruitière.
Le contentieux
L’avocat de Pierre connaissait bien l’article 595 alinéa 4 du code civil. Ce texte dispose que « l’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ». Bien que cet article n’édicte aucune sanction en cas de bail conclu par le seul usufruitier, la Cour de cassation a retenu que le bail, ainsi consenti, encourrait la nullité. Pour Pierre, il n’y avait donc aucun doute. Le bail avait bien été consenti à Paul par leur mère, en sa qualité d’usufruitière, sans son concours, ce qui justifiait son annulation. Mais son frère cadet ne manquait pas non plus d’argument. L’action en nullité était prescrite car elle avait été engagée plus de cinq ans après que Paul et lui ont eu, tous deux, connaissance de la conclusion du bail, à la Saint Michel de l’an 2000. Il est vrai que la Cour de cassation a posé en principe que le point de départ de ce délai quinquennal est le jour où le nu-propriétaire a eu connaissance du bail. Mais, lorsque celui-ci a été renouvelé, la question du point de départ de l’action en nullité peut poser difficulté. Il s’agit en effet de savoir quel sens il convient de donner à l’expression « connaissance du bail » par les nus-propriétaires. S’agit-il du lien contractuel en lui-même dès l’origine ou du bail renouvelé en tant que nouveau bail ? Pour Pierre, qui avait fait valoir que le bail avait été resigné en 2009, il s’agissait bien d’un nouveau bail. L’action en nullité engagée moins de cinq ans après était tout à fait recevable.
Les juges avaient tranché en sa faveur. Un nouveau délai de cinq ans avait bien couru à compter de 2009. Mais pour Paul, la sanction était trop injuste. Il ne pouvait imaginer d’être ainsi évincé de l’exploitation familiale sur laquelle il était installé depuis près de quinze ans. Aussi a-t-il saisi la Cour de cassation qui a accueilli son recours. Puisque les nus-propriétaires connaissaient l’existence du bail dès sa conclusion en 2000, les juges du fond auraient dû en tirer toutes les conséquences en déclarant prescrite l’action en nullité formée par son frère.
L’épilogue
La cour de renvoi ne pourra qu’écarter l’action en nullité engagée à tort par Pierre. Ce dernier aura, au moins, appris que lorsqu’il s’agit de fixer le point de départ de l’action en nullité d’un bail consenti par un usufruitier seul, il convient de privilégier le lien contractuel à l’origine du bail.