L’histoire

La qualité de preneur en place ne fait pas disparaître celle d’héritier. À la suite du décès de ses parents, Yvette a pu le vérifier. Ils lui avaient consenti, en 1981, un bail à long terme sur des parcelles de terre leur appartenant. À cette occasion, Yvette leur avait versé une somme substantielle en contrepartie des avances en culture et du matériel de la ferme. Au jour de leurs décès, elle avait poursuivi le bail et versé le fermage au notaire chargé de la succession. Ayant cependant estimé que la somme versée lors de l’entrée dans les lieux n’était pas justifiée, Yvette avait sollicité la condamnation de ses trois sœurs à lui restituer la somme qu’elle avait payée en 1981 lors de la signature du bail.

Le contentieux

Yvette avait fondé sa demande sur l’article L. 411-74 du code rural. Il consacre le principe du remboursement, avec majoration, des sommes indûment versées lors de la conclusion d’un bail consécutif à un changement d’exploitant. Cette action en répétition est recevable pendant toute la durée du bail initial et celle des baux renouvelés qui lui font suite. Yvette était convaincue du bien-fondé de sa demande. N’avait-elle pas versé, lors de la conclusion du bail, près de 300 000 francs ? Une somme qu’elle considérait injustifiée au regard de l’état du matériel et des quelques bovins présents sur les terres.

Pour Yvette, il n’y avait aucun doute. Il s’agissait bien d’un chapeau payé en contrepartie du bail à long terme, dont elle devait pouvoir obtenir le remboursement de la part de ses sœurs venues aux droits de ses parents.

Au tribunal, les juges avaient constaté que ses sœurs étaient dans l’incapacité complète de justifier d’une contrepartie en éléments incorporels, matériels ou en bétail et avaient reconnu tout ignorer des conditions de la cession de l’exploitation de leurs parents. Les juges les avaient condamnées solidairement à restituer à Yvette la contre-valeur de la somme payée lors de l’entrée dans les lieux, assortie de la majoration d’intérêts. Mais les sœurs d’Yvette devaient-elles, seules, supporter la charge de la restitution ? Après tout, il s’agissait bien d’une dette de la succession des parents, qui devait être partagée entre tous les héritiers, Yvette y compris.

Un débat juridique s’est donc instauré à l’occasion du pourvoi en cassation formé par les trois sœurs d’Yvette. Leur avocat a invoqué l’article 873 du code civil disposant que « les héritiers sont tenus des dettes et charges de la succession personnellement pour leur part successorale ». Ainsi, l’obligation du débiteur décédé se divise de plein droit entre tous ses héritiers. En conséquence, lorsque la dette est solidaire, chacun des héritiers, ne recueillant qu’une part de la succession, n’est tenu qu’à concurrence de cette part. La Cour de cassation a donc cassé l’arrêt d’appel qui n’avait pas tenu compte de la qualité d’héritière d’Yvette.

L’épilogue

Malgré sa qualité de preneuse l’autorisant à solliciter la répétition, c’est-à-dire le remboursement du chapeau versé lors de l’entrée dans les lieux, Yvette ne pouvait obtenir de ses sœurs la restitution de l’intégralité de la somme payée à ses parents, décédés depuis.

La cour d’appel de renvoi devra tenir compte de cette situation et réduire le montant de la restitution à hauteur de la seule part supportée par Yvette. Après tout, ce n’est que justice…