L’HISTOIRE. Les conflits de voisinage occupent régulièrement les prétoires. Ils révèlent l’attachement de nos concitoyens à leur droit de propriété. L’histoire rapportée en est un nouvel exemple. Elle a commencé le jour où Guy avait acquis une coquette maison dans la campagne angevine. Celle-ci comportait une terrasse, située à l’arrière du bâtiment et bénéficiant d’une belle vue, qui donnait sur son jardin et sur ceux du voisinage. Mais Louise, dont le jardin était mitoyen de celui de Guy, n’appréciait pas cette atteinte à son intimité. Aussi, avait-elle décidé de faire construire un mur en limite du fonds de son voisin. Composé d’agglos, il obstruait la vue de sa terrasse et son ensoleillement. Le conflit était inévitable !
LE CONTENTIEUX. Mécontent de ne plus pouvoir profiter des rayons du soleil, Guy avait assigné Louise devant le tribunal de grande instance en démolition du mur. Renseignement pris, il avait le droit pour lui. L’article 690 du code civil dispose, en effet, que les servitudes continues et apparentes, telle la servitude de vue, s’acquièrent par titre ou par la prescription de trente ans. Selon une jurisprudence constante, la preuve de l’acquisition par usucapion trentenaire d’une servitude de vue par le propriétaire d’un balcon ou d’une terrasse est rapportée dès lors qu’il est établi que la possession de cet aménagement, par lequel s’exerce la servitude, est continue, paisible, publique et non équivoque depuis au moins trente ans. Or, Guy avait démontré, par des attestations de voisins et un ancien plan cadastral, que sa maison, qu’il avait acquise en 1994, disposait de la terrasse incriminée depuis 1971. Les attestations, très circonstanciées, précisaient que la vue dont il jouissait avait toujours été dégagée, agréable et paisible. Aussi, pouvait-il se prévaloir d’une servitude de vue acquise par prescription trentenaire. Louise avait tenté de se défendre. L’acte de vente de Guy ne contenait aucune mention de la terrasse. Bien plus, aucune vue depuis la terrasse n’avait pu s’exercer avant l’année 1985 puisque, jusqu’à cette date, elle était obstruée par le toit aveugle d’une maison que Louise avait fait détruire, ainsi que par une haie d’arbustes.
Mais ni le tribunal, ni la cour d’appel, n’a été convaincu par sa démonstration. Les photographies que Louise avait produites et le plan de masse du pavillon qu’elle avait fait démolir ne permettaient pas de constater que la vue avait été obstruée par le toit de ce pavillon ou par la végétation. Pour les juges, les éléments de preuve versés aux débats établissaient que la terrasse litigieuse existait depuis 1974 et avait une vue dominante et dégagée sur le jardin de Louise. Guy avait alors bien acquis, par prescription trentenaire, une servitude de vue, non clandestine, depuis sa terrasse sur le fonds de sa voisine.
L’ÉPILOGUE. Saisie en désespoir de cause par Louise, la Cour de cassation ne pouvait qu’écarter son pourvoi. Les juges du fond avaient souverainement relevé que la servitude de vue avait été acquise par prescription. Louise devra démolir le mur obstruant la vue de Guy, ce qui lui permettra, à nouveau, de contempler le paysage verdoyant.