L’HISTOIRE. Les membres de la famille de l’exploitant participent fréquemment à l’activité agricole sur le fonds loué. Grâce à leurs travaux, ils concourent à la sauvegarde des exploitations agricoles. Le législateur et les juges l’ont bien compris et s’efforcent de les protéger. Clotilde peut en témoigner. Propriétaire de belles parcelles d’herbage au bord du Doubs, celle-ci les avait données à bail à Jeanne qui les mettait en valeur avec le concours de Jean, son époux. Le bail avait été renouvelé à deux reprises, mais à la suite d’un différend entre les parties sur la mise à disposition des parcelles au profit de l’EARL de Jean et Jeanne, Clotilde avait décidé de résilier le bail.

LE CONTENTIEUX.Devant le tribunal paritaire des baux ruraux, elle avait invoqué une cession illicite du bail. Elle s’était prévalue de l’article L. 411-35 du code rural qui autorise le preneur, avec l’agrément du bailleur ou, à défaut, l’autorisation du tribunal paritaire, à associer à son bail en qualité de copreneur son conjoint participant à l’exploitation. Pour la propriétaire, il n’y avait aucun doute. Jeanne avait bien associé son époux. Son inscription à la MSA en qualité d’exploitant au titre des parcelles louées par son épouse ainsi qu’à celles dont il était propriétaire en était la démonstration, selon Clotilde, qui comptait sur le témoignage de ses voisins. Ces derniers avaient affirmé que c’était bien Jean qui effectuait tous les travaux sur les parcelles louées. Pour corroborer le tout, les fermages étaient payés à partir du compte d’exploitation de Jean. Jeanne avait vivement réagi face aux arguments de Clotilde. Elle ne pouvait envisager d’être sanctionnée pour la seule raison que son époux l’aidait dans l’exécution des travaux de la ferme. D’ailleurs, ni l’inscription de Jean à la MSA, ni le paiement des fermages provenant du compte de ce dernier n’avaient une quelconque incidence juridique sur le bail dont Jeanne était seule titulaire selon elle.

Les juges s’étaient pourtant montrés intransigeants. Pour eux, le rôle de Jean ne se limitait pas à une simple aide ou assistance dans un cadre familial. Jeanne l’avait bien associé à l’exploitation des parcelles données à bail sans l’autorisation de Clotilde et du tribunal paritaire. Dès lors, le tribunal n’a pu qu’imposer la résiliation du bail. Pourtant, la Cour de cassation a refusé de sanctionner Jeanne. Elle a censuré l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 411-35 du code rural. Elle a rappelé que des époux agriculteurs peuvent collaborer dans leurs activités respectives, sans qu’il en résulte nécessairement une association au bail. Or en l’espèce, les juges n’avaient pas caractérisé une association de Jean au bail conclu par son épouse, de nature à lui conférer la qualité de copreneur à l’insu de la bailleresse.

L’ÉPILOGUE. Devant la cour de renvoi, Jeanne pourra se prévaloir de l’avancée législative qui autorise chaque époux à librement exercer une profession agricole de manière indépendante, tout en bénéficiant du concours de son conjoint. Et quel que soit son régime matrimonial, cette entraide n’aura pas forcément d’incidence sur le bail qui lui est consenti.