L’HISTOIRE. Anne avait donné à bail à Jules des herbages. Avec son beau-frère, il y avait développé une société de fait, consacrée à l’élevage de bovins de race salers. Pour payer les fermages, Jules avait ouvert un compte joint à son nom et à celui de son beau-frère. Estimant que cette coexploitation constituait une cession du bail ou, tout du moins, une sous-location prohibée par l’article L. 411-35 du code rural, Anne avait saisi le tribunal paritaire. Elle demandait la résiliation du contrat accompagnée de l’expulsion du preneur.

LE CONTENTIEUX. Jules était serein. Pour lui, la demande d’Anne était prescrite. Une loi du 17 juin 2008 ayant modifié l’article 2224 du code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Ainsi, toutes les actions d’origine contractuelle sont soumises à la prescription quinquennale. Celle d’Anne n’y échappait pas, selon son fermier. Elle lui avait adressé, dès le mois de février 2017, des lettres accusant réception des règlements des fermages à partir du compte joint. Il en résultait qu’elle avait bien eu connaissance de la coexploitation dès cette période, mais n’avait pas réagi pendant plus de cinq ans. Pour se défendre, Anne s’était bornée à soutenir que la demande de résiliation n’était soumise à aucun délai et pouvait être formée jusqu’à la fin du bail. Mais ni le tribunal paritaire, ni la cour d’appel, qui avait confirmé le jugement, n’avaient été convaincus. Pour écarter la demande de résiliation, ils avaient relevé que la demande avait bien été présentée plus de cinq ans après qu’Anne eut connaissance de l’exploitation conjointe des terres par un tiers au bail. Ils avaient également soulevé que la loi du 17 juin 2008 avait fait courir un nouveau délai venu à expiration le 19 juin 2013, antérieurement à la saisine du tribunal intervenue en 2014.

Cependant, pour la Cour de cassation, saisie par Anne, la censure s’imposait. La cession du bail rural et la sous-location constituent des manquements à une prohibition d’ordre public. Elles ouvrent au bailleur le droit d’agir en résiliation dans les limites de la prescription quinquennale. Celle-ci ne peut commencer à courir qu’à compter de la cessation du manquement imputé au preneur. Or, cette cessation n’était nullement constatée à la date de la demande de résiliation. La prescription n’était donc pas acquise.

L’ÉPILOGUE. Devant la cour de renvoi, Anne pourra utilement se prévaloir de la coexploitation pour justifier sa demande de résiliation du bail. Jules ne pourra lui reprocher la tardiveté de son action. Pour autant, la sanction n’est-elle pas un peu trop rigoureuse ? Cette situation portait-elle véritablement atteinte aux intérêts de la bailleresse puisque seul Jules conservait la qualité de preneur ?