L’histoire
Il est parfois difficile de faire la distinction entre un chemin d’exploitation, affecté à l’usage exclusif des propriétaires riverains ou enclavé, et un chemin rural ouvert à tous, dédié à l’usage du public.
Le groupement agricole familial (GFA) du Bel épi était propriétaire d’un joli domaine agricole, planté en oliviers et cerisiers, et traversé, d’est en ouest, par un chemin qui conduisait aux villages voisins. Chaque été, les propriétaires déploraient les nombreux passages des promeneurs qui l’empruntaient pour des randonnées pédestres ou équestres. Aussi, le GFA s’était-il décidé à assigner les deux communes voisines en revendication de la propriété du chemin, afin d’en restreindre l’usage.
Le contentieux
S’agissait-il d’un chemin d’exploitation au sens de l’article L 162-1 du code rural ou d’un chemin rural au sens de l’article L 161-1 de ce code ? à l’appui de sa prétention, le GFA s’était fondé sur le premier texte : les chemins et sentiers d’exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds et à leur exploitation ; ils sont censés, en l’absence de titre, appartenir aux propriétaires riverains, chacun selon ses droits, mais l’usage en est commun à tous les intéressés, et peut être interdit au public. Or, le GFA disposait de nombreuses attestations qui établissaient que le chemin ne pouvait être utilisé que pour la desserte du domaine. Et il avait démontré que le chemin de grande randonnée, balisé en rouge et blanc, figurant sur la carte IGN, utilisait un tracé à l’extérieur du village.
Mais les communes ne l’entendaient pas ainsi : pour elles, le chemin en cause était rural, car depuis de nombreuses années il était affecté à l’usage du public et utilisé comme voie de passage. Il était donc présumé leur appartenir. Et elles avaient rapporté la preuve qu’elles en avaient acquis la propriété par prescription trentenaire : en effet, en 1951 et 1953, les conseils municipaux avaient procédé à une nouvelle délimitation de leur territoire et avaient fait figurer, sur le plan cadastral, le chemin en litige comme chemin rural. Plus tard, elles avaient approuvé son inscription au plan des randonnées pédestres et équestres élaboré par le préfet, en s’engageant à lui conserver son caractère public et ouvert à tous.
Aussi, pas d’équivoque pour les communes : le GFA avait accepté pendant plus de trente ans cette possession, continue et non interrompue, publique, non équivoque et à titre de propriétaire. La prescription trentenaire était acquise.
Les juges ont écarté la revendication du GFA : le passage en litige n’était pas un chemin d’exploitation mais un chemin rural. Il avait été incorporé à un circuit de randonnée et était, à ce titre, affecté à l’usage du public. Il était donc présumé appartenir aux communes, à défaut de preuve contraire. La Cour de cassation n’a pu que confirmer cette solution juridiquement imparable.
L’épilogue
Le GFA devra faire contre mauvaise fortune bon cœur et accepter de voir les randonneurs emprunter, à pied ou à cheval, le chemin de traverse pour se rendre d’un village à l’autre.Et sans pouvoir demander aux communes de l’entretenir, puisqu’elles n’en ont pas l’obligation légale.