L’histoire

Marc exploitait diverses parcelles situées au cœur du bocage normand, dans le cadre d’un bail que lui avait consenti Yves. Certaines jouxtaient un vaste terrain et une maison d’habitation avec dépendance qu’Yves avait décidé de vendre à un ami parisien comme résidence secondaire. Afin d’agrémenter la résidence, il avait souhaité adjoindre une parcelle et un bois compris dans le bail. Le notaire avait notifié à Marc l’intention d’Yves de vendre en bloc les deux parcelles louées et la maison d’habitation pour un prix global. Il l’avait informé qu’il pouvait exercer son droit de préemption sur l’ensemble.

Le contentieux

N’ayant nullement l’intention d’acquérir cette maison, Marc avait demandé au tribunal paritaire des baux ruraux d’annuler la notification et de fixer la valeur vénale des seules parcelles données à bail. Selon l’article L. 412-1 du code rural, le preneur dispose de la prérogative d’ordre public d’acquérir par préemption les immeubles qu’il a pris en location. En présence d’exploitations distinctes données à bail, le propriétaire doit fractionner l’objet de sa vente. Il ne peut invoquer l’indivisibilité des exploitations pour faire échec au droit de préemption. Mais qu’en est-il lorsque l’aliénation porte pour partie sur les biens loués et pour partie sur des biens non compris dans l’assiette du bail ?

La jurisprudence est claire. « Le droit de préemption en cas d’aliénation par le bailleur ne s’applique, sauf le cas d’indivisibilité, qu’aux biens qui sont l’objet de la location. » Or Marc avait produit des plans cadastraux et des photographies aériennes de Géoportail qui montraient que les parcelles louées et la maison d’habitation étaient séparées par un chemin d’exploitation et ne formaient pas un ensemble matériellement indivisible. La vente en bloc n’était pas possible.

Yves s’était pourtant défendu. Le chemin était compris dans l’assiette d’une des parcelles louées et permettait de desservir l’accès à la maison, évitant la situation d’enclave provoquée par une vente séparée. La maison d’habitation formait bien un ensemble matériellement indivisible avec les parcelles louées. La notification de la vente était alors régulière selon lui et devait permettre à Marc d’exercer son droit de préemption.

Mais les juges n’ont pas suivi Yves. Ses éléments ne permettaient pas de rapporter la preuve que les parcelles formaient avec la maison, ensemble, une unité matérielle ou économique indissociable. La Cour de cassation n’a pu que confirmer cette solution.

L’épilogue

Yves devra reconsidérer son projet de vente, en détachant de la maison la parcelle ainsi que le bois et en procédant à deux ventes séparées, afin de permettre à Marc de préempter les parcelles louées. On retiendra de cette histoire que tout propriétaire qui entend proposer la vente d’un fonds affermé et de biens non compris dans l’assiette du bail doit être conscient que le caractère indissociable des différents éléments mis en vente s’apprécie strictement sur des critères matériels et économiques.