L’histoire
Dans les régions d’élevage, les conventions de prise en pension d’animaux sont fréquentes. Elles échappent au statut du fermage si le propriétaire accepte de prendre en garde, d’entretenir et de nourrir les animaux d’un tiers en échange d’une contrepartie onéreuse.
Christine, avancée dans l’âge, habitait une coquette demeure contiguë à une pâture. Elle avait laissé la parcelle à la libre disposition de Jean, éleveur, afin d’y faire paître ses bovins charolais. De sa terrasse ensoleillée, Christine, qui vivait seule, se plaisait à contempler la présence des animaux.À son décès, Clémence, sa fille, avait fait savoir à Jean qu’elle mettait fin à la convention de pacage.
Le contentieux
Mécontent, Jean avait saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en vue d’une requalification de la convention en bail rural. L’article L. 411-1 du code rural soumet au statut du fermage les contrats de prise en pension d’animaux par le propriétaire d’un fonds à usage agricole. Pour se faire, les obligations qui incombent normalement à un propriétaire de terres doivent être mises à la charge du propriétaire des animaux. La jurisprudence avait également soumis au statut des baux ruraux la mise à disposition de terres par le propriétaire à un tiers, pour y laisser pâturer des animaux. Dans ce cas, celle-ci doit avoir fait l’objet de contrats successifs avec l’obligation, pour le bénéficiaire, d’entretenir les clôtures.
Jean avait établi qu’il assurait seul les travaux d’entretien des parcelles. C’est aussi lui qui avait installé les clôtures électriques et visitait régulièrement les bovins. Pour lui, la requalification de la convention en bail rural s’imposait.
Mais de son côté, Clémence n’acceptait pas de se voir imposer un tel contrat sur des parcelles attenantes à la maison familiale. Elle ne manquait pas d’arguments pour sa défense, en avançant le fait que sa mère avait accepté de rendre service à Jean en l’autorisant à faire paître ses bovins. Elle avait également expliqué qu’elle les avait surveillés en les comptant quotidiennement, et prévenait Jean lorsque l’une des bêtes était malade.
De plus, la pâture n’était pas utilisée pendant l’hiver. Aussi, bien qu’elle eût été exécutée durant sept saisons, il s’agissait logiquement pour Clémence d’une convention de prise en pension d’animaux échappant au statut du fermage.
Mais les juges ne l’ont pas suivie. Les documents produits par Jean établissaient qu’il avait entretenu lui-même les parcelles. Ils montraient également que leur utilisation pour les besoins du cheptel de bovins présentait un caractère répété et qu’aucune obligation de surveillance n’avait été mise à la charge de Christine, qui se contentait, depuis sa terrasse, d’observer les animaux. La Cour de cassation a suivi les juges du fond en rejetant le pourvoi de Clémence.
L’épilogue
Jean pourra continuer à faire paître ses bovins sur les pâtures de Clémence. Il le fera dans le cadre, plus pérenne, d’un bail rural soumis au statut du fermage. La prise en pension d’animaux permet, il est vrai, d’échapper aux rigueurs du statut des baux ruraux. Encore faut-il que le propriétaire puisse établir que les obligations d’exploitation (l’entretien des pâturages et des clôtures, la surveillance des animaux) restent à sa charge.