L’histoire

Le père d’Étienne avait consacré toute sa vie à la mise en valeur de la ferme familiale. À son décès, survenu en 1976, sa succession n’avait pas été liquidée et son épouse avait poursuivi l’exploitation de la ferme jusqu’à son propre décès en 2012. Il avait fallu organiser les comptes et le partage des biens tombés dans l’indivision des enfants. Aussi, Étienne, qui avait travaillé plus de cinq ans sur l’exploitation dirigée par son père, avait-il assigné, en février 1974, son frère et sa sœur en partage. Il y revendiquait le paiement de sa créance de salaire différé.

Le contentieux

Sa demande était fondée sur l’article L. 321-13 du code rural. Selon ce texte, le descendant d’un exploitant agricole qui, âgé de plus de dix-huit ans, a participé directement et effectivement à l’exploitation familiale sans percevoir de rémunération, peut bénéficier d’un contrat de travail à salaire différé. Tel était le cas d’Étienne, alors âgé de plus de dix-huit ans, qui avait participé aux travaux de l’exploitation de son père, de manière directe et effective, pendant plus de cinq ans, sans avoir perçu d’autre rémunération que de l’argent de poche, le gîte et le couvert. Pour les cohéritiers d’Étienne, cette demande se heurtait à la prescription trentenaire instituée par l’ancien article 2 262 du code civil, qui courait à compter de l’ouverture de la succession de l’exploitant, donc à compter de son décès. Aussi, la demande d’Étienne, formée devant le tribunal en février 2014, plus de trente ans après le décès de son père, était irrecevable. Pourtant, puisque ses parents étaient des exploitants successifs, ne pouvait-il pas se prévaloir d’un unique contrat de travail et exercer son droit de créance sur l’une ou l’autre des successions ? Cela lui permettait de former la demande lors du règlement global de la succession de ses parents.

Mais les juges se sont montrés sévères. Ils ont affirmé que si, dans l’hypothèse d’exploitants successifs, leur descendant pouvait exercer son droit de créance sur l’une ou l’autre des successions, c’était à la condition que cet unique contrat de travail eût reçu exécution au cours de l’une et de l’autre période. Or, en l’espèce, Étienne avait seulement travaillé cinq ans, sans rémunération, sur l’exploitation gérée par son père. Sa mère n’avait acquis la qualité d’exploitante agricole qu’après le décès de ce dernier. Aussi, plus de trente ans s’étant écoulés depuis cet événement, la demande d’Étienne était bien prescrite. La Cour de cassation, qui avait déjà pris position en ce sens quelques années auparavant, n’a pu qu’écarter le recours.

L’épilogue

La solution est bien sévère pour Étienne, dont la demande s’est trouvée prescrite. Pourtant, au décès du chef d’exploitation, ni son épouse, ni ses enfants n’avaient souhaité procéder au règlement de sa succession. De son côté, Étienne n’avait non plus imaginé un instant faire valoir sa créance de salaire différé. Désormais, la prudence devra s’imposer. D’autant plus que la prescription est aujourd’hui ramenée à cinq ans à compter du décès, ce qui laisse encore moins de temps au descendant pour réclamer son paiement.