L’histoire.
La situation n’était pas banale. Elle résultait d’une mauvaise rédaction par le notaire des statuts d’un Groupement foncier agricole (GFA). Le GFA de Saint-Jean, dont il est question, avait consenti à Julien un bail à long terme portant sur un beau domaine agricole d’une centaine d’hectares avec des bâtiments attenants. Quelques années plus tard, Sophie, gérante du groupement, avait délivré un congé à Julien aux fins de reprise, mettant fin au contrat le 31 décembre 2017. Le jeune fermier, qui comptait sur le renouvellement de son bail, avait contesté le congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux.
Le contentieux.
Pour conclure à l’annulation du congé, Julien avait fait valoir que Sophie n’avait aucune compétence pour délivrer l’acte. Cette faculté ne pouvait relever que de l’assemblée générale du GFA, selon lui. L’article 16 des statuts précisait que « tous baux à conclure ou à réaliser nécessiteront le concours et l’approbation de l’assemblée générale extraordinaire des associés ». Pour Julien, le verbe « réaliser » était le résultat d’une erreur de rédaction et devait être entendu comme signifiant « résilier ». Ceci interdisait à la gérante seule de donner congé, sans avoir obtenu l’accord del’assemblée générale des associés.
Mais Sophie ne manquait pas d’arguments. Selon elle, les stipulations de l’article 16 des statuts ne soumettaient à l’approbation de l’assemblée générale que la conclusion et la réalisation des baux, et non leur résiliation. Elle avait aussi invoqué un argument juridique pertinent sur la base de l’article 1849 du code civil. Selon ce texte, les clauses limitant les pouvoirs des gérants sont inopposables aux tiers, qu’ils en aient eus ou non connaissance. Julien, tiers au GFA, était donc mal fondé à se prévaloir du prétendu dépassement de pouvoir.
Pour autant, les arguments de la gérante n’ont pas convaincu les juges. Pour la cour d’appel, la commune intention des parties au groupement était de conférer à l’assemblée générale extraordinaire, seule habilitée à autoriser la conclusion de baux, le pouvoir d’en approuver parallèlement la rupture. Le verbe « réaliser » devait, de telle sorte, être considéré comme signifiant « résilier ». En outre, Julien n’était pas un tiers mais un associé du GFA, à la suite de la donation de parts sociales que lui avait fait son père. Une qualité qui l’autorisait à se prévaloir du dépassement de ses pouvoirs par Sophie.
Saisie, la Cour de cassation a pris une position inverse mais conduisant à la même solution. Elle a affirmé que les tiers à un groupement foncier agricole pouvaient se prévaloir des statuts du groupement pour invoquer le dépassement de pouvoir commis par son gérant. Or, Julien était bien, à l’époque du congé, un tiers au GFA. Cela lui permettait de se prévaloir des statuts du groupement pour justifier l’excès de pouvoir commis par Sophie. Naturellement, l’annulation du congé s’imposait.
L’épilogue.
Deux enseignements sont à retenir. C’est la reproduction par le notaire de statuts types contenant une erreur de rédaction qui a provoqué la querelle sémantique. De plus, à l’égard des praticiens, le motif de pur droit retenu par la Cour de cassation, relatif à l’inopposabilité aux tiers de certaines clauses statutaires, ne manquera pas d’attirer leur attention.