L’HISTOIRE. Qu’il était beau le panneau publicitaire implanté par la fromagerie sur la parcelle de Jean ! Une vache normande sur un pré verdoyant, pour vanter une grande marque de camembert… Après tout, pour un producteur de lait « produit en France », il n’y avait rien d’incongru à se livrer à un tel affichage à la porte de l’exploitation, outre qu’il constituait un petit revenu complémentaire, de nature à compenser la baisse de la paye du lait par la coopérative. Mais pour Paul, le bailleur, qui avait découvert le panneau en circulant sur la route, il s’agissait d’un abus de jouissance, assimilable à une sous-location et justifiant la résiliation du bail.
LE CONTENTIEUX. Paul avait donc saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d’une demande de résiliation du bail, en invoquant l’article L. 411-35 du code rural. Ce texte affirme que « toute sous-location est prohibée », sauf s’il s’agit d’une sous-location pour un usage de vacances ou de loisirs, et sous certaines conditions. Il est vrai qu’il y a sous-location dès lors que le preneur a opéré un transfert exclusif de la jouissance de tout ou partie du bien loué, moyennant une contrepartie onéreuse, même s’il continue à l’entretenir. Or, Paul avait établi que Jean avait bien conclu, avec sa coopérative, un accord portant sur la jouissance, à titre onéreux et pendant trois ans, d’une partie de la parcelle située à l’entrée de l’exploitation, pour y installer le panneau publicitaire.
En réponse, le conseil de Jean faisait valoir qu’il n’y a pas sous-location prohibée lorsque le preneur n’a pas perdu la maîtrise de l’exploitation. Il s’était souvenu que, selon la jurisprudence, aucune sanction ne pouvait être infligée au preneur qui avait consenti une sous-location dont l’emprise était tellement restreinte qu’il avait néanmoins conservé l’entière maîtrise de la parcelle concernée (Cour de cassation, 22 septembre 2016). Tel était bien le cas en l’espèce : en effet, la superficie du terrain sur lequel était installé le panneau représentait à peine quelques centiares. En outre, un seul des deux poteaux servant de support au panneau était scellé sur une partie de la parcelle louée. Pour les juges paritaires, Jean était dans son droit. Ils avaient constaté que s’il avait permis l’implantation d’un panneau publicitaire, le fermier avait bien conservé « l’entière maîtrise et la jouissance de l’exploitation sur laquelle un seul poteau avait été posé ». Ainsi, la mise à disposition au profit de la fromagerie n’était-elle pas illicite au sens de l’article L. 411-35 du code rural, ce qu’a confirmé la Cour de cassation.
L’ÉPILOGUE. Le caractère éminemment personnel du bail justifie la prohibition de toute souslocation effectuée en dehors des exceptions limitativement énumérées par l’article L. 411-35. Aussi, s’il ne veut pas risquer d’encourir la résiliation de son bail, le preneur doit veiller à ne prendre aucune liberté avec le principe de l’exploitation personnelle et effective des biens loués. Mais le bailleur ne saurait sacrifier toute décision de gestion des biens loués sur l’autel de la résiliation, dès lors que le preneur conserve la maîtrise de l’exploitation !