L’histoire
Pierre et Anne exploitaient un élevage laitier situé au cœur de la Lorraine. Ils étaient respectivement décédés en 2017 et en 2020, laissant pour leur succéder leurs enfants Rémi et Aline. Devant le notaire, lors de la liquidation et du partage des successions confondues de Pierre et Anne, des difficultés étaient survenues, notamment sur le droit pour Aline de bénéficier d’une créance de salaire différé.
Le contentieux
En l’absence d’accord, Rémi avait assigné sa sœur devant le tribunal judiciaire en liquidation et partage de la succession de leurs parents. Aline avait alors fait valoir qu’elle entendait disposer d’une créance de salaire différé, car elle avait travaillé pendant quatre années au sein de l’exploitation en qualité d’aide familial, sans aucune rémunération.
La prétention d’Aline était-elle fondée ? Selon l’article 321-13 du code rural, « les descendants d’un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit années, participent directement et effectivement à l’exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes, et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration sont réputés légalement bénéficiaires d’un contrat de travail à salaire différé. » Pour Aline, la présomption de l’existence d’un contrat de travail à salaire différé devait s’appliquer. En effet, elle avait produit de nombreux témoignages établissant qu’elle avait bien travaillé sans être rémunérée pendant quatre années dans la ferme familiale avant de s’installer à son compte. Et elle avait versé aux débats une attestation d’activité de la MSA faisant apparaître la prise en compte de quatre trimestres de cotisation de retraite pour chacune de ces années.
Pour s’opposer à la demande d’Aline, Rémi avait soutenu qu’elle n’avait pas été une aide pour ses parents mais avait travaillé à son compte depuis l’exploitation familiale.
Le tribunal et, à son tour, la cour d’appel avaient tranché de manière catégorique. Aline avait travaillé pendant quatre années avec le statut d’aide familial bénévole, ce qui conduisait à l’absence du bénéfice d’une créance de salaire différé. Autrement dit, pour les juges du fond, la qualité d’aide familial d’Aline, affiliée à l’assurance obligatoire maladie, invalidité et maternité des personnes non salariées des professions agricoles, excluait qu’elle pût revendiquer le bénéfice d’une créance de salaire différé.
Une telle solution privait Aline d’une rémunération justifiée par ses travaux dans l’exploitation familiale. Elle ne pouvait l’accepter. Elle avait donc saisi la Cour de cassation qui lui a donné raison en censurant l’erreur de la cour d’appel. La qualité d’aide familial n’exclut pas le bénéfice d’un salaire différé.
L’épilogue
Aline pourra, devant la cour de renvoi, renouveler sa demande de versement d’un salaire différé, imputable sur la succession de ses parents avant tout partage. La créance pourra être évaluée, pour chaque année prise en compte, sur la base des deux tiers de la somme correspondant à 2 080 fois le taux du Smic en vigueur au jour du partage consécutif au décès, ainsi qu’il est précisé à l’article L 321-13 du code rural.