Les chambres d’agriculture auraient espéré meilleure moisson cet été. à la sortie des arbitrages budgétaires de la prochaine loi de finances pour 2020, le gouvernement prévoit de baisser de 15 % le taux de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB). Appelée aussi « taxe pour frais de chambres », cette recette fiscale, payée par les propriétaires de parcelles non bâties, finance plus de 40 % du budget des 103 établissements publics, soit 292 millions d’euros. La mesure pilotée par Bercy réduirait ce montant de 45 millions d’euros. Une baisse de financements qui a mis vent debout les chambres d’agriculture. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement envisage de raboter leur budget. En 2015, le plafond de la TATFNB finançant les chambres avait déjà été réduit de 2 % et 55 millions d’euros avaient été prélevés dans leurs réserves par l’état.
« On ne va passe laisser faire »
« Le réseau est très en colère », martelait Claude Cochonneau, président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), face à cette nouvelle menace, le 18 juillet, à la suite d’une réunion avec le cabinet du Premier ministre. Tentant d’avoir des explications, il en est sorti « sans réponse précise ». « On ne va pas se laisser faire, lançait Sébastien Windsor, premier vice-président de l’APCA. Les présidents des chambres d’agriculture vont rencontrer prochainement les parlementaires et les collectivités pour avoir leur soutien. » Dix jours plus tard, 46 députés de La République en Marche (LREM) dénonçaient le projet du gouvernement dans une tribune publiée dans Le Parisien. Les auteurs de cette mini-fronde au sein des rangs de la majorité craignent que « les chambres compensent la réduction de leur budget par la disparition de certains services ou l’augmentation de leurs prix ».
Si la mesure devait être votée, Claude Cochonneau a déjà prévenu que les chambres réagiraient « comme n’importe quelle entreprise ». En Charente, par exemple, cette baisse de financements pourrait occasionner la suppression de 8 à 10 postes de conseillers sur environ 80. Une épée de Damoclès sur le personnel des chambres, pointée du doigt par 11 députés et 23 sénateurs à l’occasion de questions parlementaires adressées au ministre de l’Agriculture. En cette période estivale de suspensions des travaux législatifs, une seule a, pour l’heure, reçu une réponse de Didier Guillaume.
Si le ministre a bien confirmé que les recettes des chambres seraient diminuées, il en a expliqué la raison. « Le choix du Premier ministre a été […] de faire baisser les taxes que les agriculteurs paient à partir de leurs revenus et de leur donner plus de pouvoir d’achat. »
L’argument fragile du pouvoir d’achat
Si édouard Philippe entend jouer au Robin des bois (ou aux braqueurs espagnols de La Casa de papel pour des références plus récentes) en prenant aux chambres pour redonner à la profession agricole, la bourse qu’il tend aux exploitants reste légère. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2017, la TATFNB ne représentait que 0,52 % des charges totales d’une exploitation. La baisse de cet impôt ne concernerait que quelques dizaines d’euros, voire une centaine d’euros par ferme, selon l’APCA. Certains diront que c’est déjà ça de gagné, d’autres que le gain est minime et désavantage avant tout un organisme mutualiste. « Il n’y aura pas d’économie pour les agriculteurs, mais juste une grosse perte pour l’agriculture française », clame Christian Daniau, président de la chambre de Charente.
Une incompréhension également partagée au sein de l’APCA. Alors que les chambres d’agriculture s’apprêtaient à signer, avant la fin de l’année, un « contrat d’objectifs » avec le gouvernement, la tête de réseau pointe du doigt une incohérence entre les moyens et les ambitions projetées. « L’état dit qu’il faut accélérer la transition, mais ne nous donne pas les capacités pour y arriver », estimait Sébastien Windsor, le 18 juillet. « Un double discours incompréhensible » dénoncé aussi par la FNSEA et Jeunes agriculteurs (JA), qui ont appelé à suspendre les discussions autour du contrat d’objectifs.
La transition pour « les riches »
L’APCA a déjà prévenu que son projet stratégique 2019-2024, visant à « accompagner les transitions économiques, sociétales et environnementales », présenté le 24 juillet et établi à « budget constant », pourrait ne jamais voir le jour en cas de baisse des financements. « Si on doit mettre notre énergie dans la restructuration de nos services, on ne pourra pas la mettre dans des missions nouvelles », a averti le premier vice-président.
Le risque d’un accès inégal au conseil est également une des conséquences redoutées. « Plus l’entreprise a une surface importante, plus elle est à même d’intégrer les aspects de transition.Pour une petite entreprise, la transition peut paraître insurmontable, a souligné Claude Cochonneau. Si on n’a pas cette partie de services mutualisés (N.d.l.r. : financés avec la TATFNB), cela reviendrait à dire que l’on réserve la transition aux riches. »
Des propos complétés par Sébastien Windsor : « Cette baisse de la taxe est une fausse économie pour les agriculteurs. S’ils doivent se payer un conseiller privé, ils vont plutôt aller vers un conseil individuel. Cela coûtera beaucoup plus cher que lorsque l’on mutualise. »
Pour autant, cette baisse de financements ne devrait pas changer drastiquement les habitudes des agriculteurs français. Un sondage réalisé en 2017 par le mensuel AgroDistribution révélait que 58 % d’entre eux positionnaient la distribution agricole (coops, négoces) comme les meilleurs partenaires pour optimiser la conduite de leur exploitation, puis les chambres d’agriculture (23 %). Suivaient « les agriculteurs eux-mêmes (21 %) » et les centres de gestion (11 %). Signe que les exploitants ne comptent pas seulement sur les chambres pour trouver des solutions. Une situation qui pourrait s’accentuer en cas d’affaiblissement des services. Alexis Marcotte