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Qu’avez-vous appris sur l’agriculture en rédigeant ce rapport intermédiaire sur la décarbonation de ce secteur ?

Écrit sous la responsabilité de Céline Corpel, agricultrice et membre du Shift project, le rapport final sera diffusé en novembre. Les agriculteurs héritent d’un système dépendant des énergies fossiles, ce qui est une contrainte majeure dans la perspective de la contraction de l’approvisionnement fossile. Dans le même temps, c’est un secteur qui émet des gaz à effet de serre, donc qui contribue au changement climatique, mais qui a la particularité d’être potentiellement un fournisseur d’énergie, avec le biogaz et le biocarburant, et un puits de carbone naturel grâce à la photosynthèse. Dans le rapport intermédiaire, nous avons identifié des leviers d’action qui peuvent être mis en pratique directement par les agriculteurs, que ce soit sur la fertilisation azotée, l’optimisation de la conduite des troupeaux, un changement d’alimentation, des pratiques pour réduire les consommations de carburant, de combustible pour le chauffage des bâtiments ou des pratiques stockantes de carbone, dont l’augmentation du taux de matière organique des sols. Et puis, il y a des leviers plus généraux qui ne se décident pas forcément à l’échelle des fermes, mais qui sont à décider collectivement, nationalement, en impliquant les filières. Cette analyse débouche sur un questionnaire que nous soumettons aux agriculteurs et à toutes les personnes intéressées par le sujet. Leurs réponses vont nous permettre d’avancer vers la rédaction finale du rapport.

Pour l’agriculteur, quel est l’enjeu ? Les efforts qu’on va lui demander seront-ils efficaces ?

Pour résumer, une moitié des émissions est liée au méthane, qui a un pouvoir de réchauffement global plus important que le CO2. Un petit tiers correspond aux émissions de protoxyde d’azote liées à la fertilisation des terres, que ce soit de la fertilisation minérale ou organique. Et puis, il y a 15 % à peu près, qui sont des émissions de CO2 vraiment liées à la consommation d’énergies fossiles. C’est une particularité de l’agriculture, d’avoir des émissions de gaz à effet de serre qui sont majoritairement non énergétiques. Ces 15 %, on pressent qu’on va pouvoir réussir à les atténuer d’ici à 2050 en réduisant les consommations, en adaptant les carburants. En revanche, pour le méthane et le protoxyde d’azote, c’est plus difficile parce qu’ils sont issus de process biologiques.

Est-ce que la volonté de réduire les émissions de carbone conduit automatiquement à la décroissance ?

Décroissance, non, pas forcément. On peut très bien réduire globalement la consommation d’engrais. On voit que les courbes de consommation d’engrais azotés et de production de biomasse sont aujourd’hui un peu décorrélées. Cela dit, c’est clair qu’on n’arrivera pas à baisser d’un facteur 5 les émissions de méthane sans une réduction significative du cheptel, c’est-à-dire d’un facteur de 2 ou 3. Il faut trouver un compromis entre les avantages de l’élevage, comme le stockage du carbone dans les prairies, et la diminution des effectifs. En fait, la bonne question dans cette affaire-là devient une question économique. Comment valorise-t-on le cheptel restant de telle sorte que les gens qui s’en occupent puissent en vivre ? On demande aux agriculteurs de faire beaucoup, faire pas cher et faire propre. À un moment, ça coince.

Pour les grandes cultures, le levier principal des producteurs semble résider dans les engrais. Que pensez-vous des engrais décarbonés ?

La vraie décarbonation des engrais, c’est d’arriver à faire l’hydrogène de manière décarbonée. En gros, ça revient à décarboner le réseau électrique. Avec ce réseau, vous électrolysez de l’eau pour produire de l’hydrogène qui vous sert à fabriquer des engrais. Ce sera effectivement un facteur diviseur très important, de l’ordre de 5, sur les émissions de production des engrais. Mais ça coûte, et ça coûtera, beaucoup plus cher. Soit la collectivité accepte de payer cinq fois plus pour que les agriculteurs se décarbonent, soit elle ne le veut pas vraiment. La carbonation de l’agriculture depuis un siècle a permis de diviser les prix agricoles par dix ou cinquante. Même en tenant compte des acquis technologiques depuis, la décarbonation à régime alimentaire identique coûtera plus cher.

Écoutez et visionnez l’entretien complet avec Jean-Marc Jancovici et Céline Corpel dans la video ci-dessus, le podcast Les Experts agricoles et la plateforme Agriflix.fr.