Pourquoi la transition agroécologique est-elle complexe ?

« Ce n’est pas une transition, mais une révolution ! La troisième dans l’histoire européenne après la résorption des jachères amorcée au XVIIIe siècle et l’industrialisation des systèmes de production depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette révolution agricole est devant nous. Elle sera celle de l’agroécologie qui repose sur la diversité du vivant pour produire de façon intensive et résiliente. »

« Plus complexe à conduire que la transition énergétique, elle renvoie à une triple transformation : les changements de pratiques agricoles permettant de réduire les émissions de méthane et de protoxyde d’azote ; la mutation des régimes alimentaires, côté demande, écartant les biens à forte empreinte climatique ; la généralisation des systèmes agricoles et forestiers stockant le carbone de l’atmosphère dans les plantes et le sol. Face aux enjeux climatiques, cette révolution est inexorable. L’inconnue est son rythme, qui sera conditionné par les réactions des agriculteurs confrontés au durcissement des conditions climatiques. »

Comment y arriver ?

« L’agronomie fait sa transition depuis une petite dizaine d’années, mais la réorientation de la recherche prend du temps pour être diffusée auprès des organismes de développement. Par ailleurs, nous n’avons pas encore les instruments économiques pour accélérer cette transition, comme il peut y en avoir pour l’énergie en Europe avec le système d’échanges de quotas de CO2. Les choses sont un peu amorcées dans le cadre de la nouvelle Pac avec les paiements écosystémiques. Il y a aussi les labels bas carbone, mais ils sont plus conçus pour faire des améliorations incrémentales que des changements complets de systèmes de production. »

« Si nous voulons trouver les bons instruments économiques, il faut réfléchir aux façons par lesquelles on pourrait valoriser l’investissement dans la diversité du vivant. Et là, nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Des recherches sont faites pour valoriser des certificats biodiversité complétant les certificats carbone. Pour cela, il faut être en mesure de calculer les impacts positifs ou négatifs d’un système agricole sur la biodiversité. Il y a énormément de connaissances à intégrer. »

Pourquoi appelez-vous à une redistribution des élevages ?

« L’industrialisation de l’agriculture a conduit à une hyperspécialisation des producteurs, avec une concentration des animaux dans certaines régions et leur disparition dans d’autres. Il conviendrait donc d’engager une politique de réduction du cheptel en redistribuant les animaux en fonction de leur empreinte sur le climat et le milieu naturel. Cela conduirait à réduire le nombre d’animaux là où les chargements à l’hectare sont excessifs, et à les maintenir, voire à augmenter leur nombre, quand leur présence permet au système de production de stocker du CO2 et, plus généralement, d’accroître la biodiversité du milieu. Les coûts d’une telle transition devront être assurés sous forme de paiements écosystémiques qui ne sont prévus ni dans la Pac, ni au plan national. »

Comment continuer à produire de façon efficace à l’hectare ?

« Souvent, on considère l’agriculture intensive comme néfaste sur le plan environnemental et climatique, et l’agriculture extensive plus respectueuse de ces questions. C’est très réducteur. Si on vise, au nom du climat, à extensifier les systèmes de production agricole, on aura besoin de plus d’hectares, que l’on va détourner au détriment de milieux à protéger. La transition agroécologique doit viser d’autres façons de produire de manière efficace à l’hectare, en misant sur la biodiversité et la capacité de régénération des sols vivants. La diversité génétique fait partie des solutions. »

(1) Editions Gallimard