Les prix des céréales s’affaissent en France sur la fin de la campagne, avec le maintien d’une compétition un peu plus forte que prévu de la part de la Russie. Les prix grimpent pour la récolte de 2022 en blé et en colza, portés par les inquiétudes climatiques et les perspectives de très faibles exportations ukrainiennes.

Nouvel affaissement des prix du blé de l’ancienne récolte

Le prix du blé de la récolte de 2021 a continué de s’affaisser légèrement cette semaine, perdant 3,5 €/t rendu Rouen à 363 €/t (base juillet) et perdant 1 €/t sur Euronext pour l’échéance de mai, à 364,5 €/t en milieu de journée ce vendredi 8 avril 2022.

 

La chute des prix français s’est produite en parallèle de celle des prix russes (–5 $/t) alors que les blés US se sont au contraire renchéris. En effet, les perspectives de rendement ne sont pas très bonnes pour les blés d’hiver aux États-Unis (USA). La note de l’USDA (ministère américain de l’Agriculture) sur l’état de ces blés en début de semaine montrait en effet que seulement 30 % étaient en situation bonne ou excellente, contre plus de 50 % à la même date l’an passé. Cette notation a surpris les opérateurs qui s’attendaient à mieux et cela a soutenu les prix US pendant toute la semaine.

 

En France et en Europe en revanche, les prix de l’ancienne récolte sont restés à la baisse à cause d’une concurrence de la Russie plutôt plus forte que prévu. La Russie a exporté entre 1,7 et 2 millions de tonnes de blé en mars ; c’est un volume faible par rapport aux exportations russes d’août à décembre mais un volume supérieur à celui de janvier 2022 par exemple. Au total, à cause des problèmes en mer d’Azov et de la prudence de certains opérateurs, la Russie n’exportera sans doute pas autant qu’elle aurait pu d’ici à juin mais elle reste quand même un concurrent sérieux et qui pèse sur les prix européens.

 

Hausse en revanche des prix des blés de la récolte de 2022

En nouvelle récolte en revanche, le prix du blé français a fortement augmenté au cours de la semaine, gagnant presque 20 €/t à 348 €/t rendu Rouen (base juillet) pour le début de la campagne et 17 €/t sur l’échéance de septembre d’Euronext. En un mois, les prix de l’ancienne récolte ont perdu 20 €/t à Rouen alors que ceux de la nouvelle ont gagné 32 €/t.

 

La hausse des prix de la nouvelle récolte s’explique par les inquiétudes climatiques portant sur les blés US, sur les interrogations concernant les poches de sécheresse en Europe (dans le sud notamment). Elle découle aussi de la poursuite de la guerre en Ukraine, même si le front des affrontements se concentre dans l’est du pays.

 

À la suite des atrocités révélées cette semaine dans le nord du pays, les sanctions appliquées contre la Russie s’amplifient (comme celle de stopper les importations de charbon russe de la part de l’UE par exemple) et cela laisse craindre une montée en puissance des perturbations à venir pour les flux de toutes les matières premières au départ de la Russie. De plus, plus les semaines passent, plus la perspective d’une forte chute de production en Ukraine se renforce.

 

Cette semaine, le premier ministre ukrainien a déclaré que la récolte de grains du pays diminuerait de 20 % par rapport à celle de l’an passé ; en réalité nous estimons que la chute sera plus forte que cela mais cette déclaration, ainsi que les prévisions des analystes ukrainiens, viennent mettre en lumière l’effondrement attendu. En plus des disponibilités réduites, l’enlisement du conflit vient aussi confirmer que les graves entraves à l’exportation au départ des côtes ukrainiennes risquent de durer. Même si les prix de la nouvelle récolte sont déjà élevés, ils grimpent donc encore au fil des dégradations de la situation. Les pays du Moyen-Orient sont d’ailleurs bien présents sur le marché : l’Arabie Saoudite a acheté 625 000 tonnes de blé cette semaine pour chargement en septembre-novembre (après que l’Irak a acheté 100 00 tonnes de blé allemand pour chargement en avril).

 

Les prix de l’orge fourragère en baisse

L’orge fourragère de l’ancienne récolte a perdu 10 €/t rendu Rouen cette semaine, à 357 €/t (base juillet). Malgré des chargements d’orge française très élevés en mars vers le Maroc (en prévision d’une très basse récolte en 2022 à cause de la sécheresse), les prix sont maintenant en chute en l’absence de chargement important depuis le début d’avril, que ce soit vers l’Afrique du Nord ou la Chine. Comme en blé, la concurrence russe reste de mise, les orges russes valant presque 40 $/t de moins que leurs concurrentes françaises. Les orges australiennes restent aussi très attractives à 357 $/t Fob (contre 400 $/t pour les orges françaises).

 

Les orges de la nouvelle récolte valent environ 20 €/t de moins (base juillet) que celle de l’ancienne mais comme en blé, les prix de la nouvelle récolte ont grimpé en un mois alors que ceux de l’ancienne se sont affaissés. En 2022-2023, nous attendons les exportations ukrainiennes en baisse de 70 % par rapport à celles de 2021-2022 en raison de la chute attendue de la production ukrainienne et des dégâts causés aux infrastructures portuaires. Même si le très haut prix de l’orge est en train d’entraîner une chute de la prévision des utilisations mondiales pour la prochaine campagne, le retrait partiel de l’Ukraine devrait maintenir à un haut niveau la demande qui sera adressée à l’Union européenne, et à la France notamment (Chine).

 

En brasserie, les prix sont restés stables en orge de printemps, à 420 €/t Fob Creil pour les orges de printemps.

 

Le maïs s’affaisse aussi

Les prix du maïs français ont poursuivi la baisse enclenchée la semaine dernière : –3 €/t Fob Rhin à 352 €/t et –6 €/t Fob Bordeaux à 332 €/t (base juillet). Les prix français chutent alors que les prix US et brésiliens repartent à la hausse, dopés par de fortes exportations américaines (en remplacement des maïs ukrainiens) et la publication d’intentions de semis en maïs assez basses aux USA la semaine dernière.

 

En Europe, en fait, la situation retrouve un peu de calme avec des arrivées en provenance de l’Ukraine un peu plus fortes que prévu grâce à la mise en place de flux terrestres entre l’Ukraine et l’UE via la Pologne. Ces flux sont faibles toutefois car limités par la logistique (l’écartement des rails n’est pas le même par exemple en Pologne et en Ukraine) et les problèmes d’acheminement à l’intérieur de l’Ukraine.

 

À l’intérieur en France, la demande devient moins vigoureuse de la part des fabricants d’aliments avec beaucoup d’élevages touchés par la grippe aviaire et un secteur porcin à la peine.

Le colza en hausse sous l’effet de craintes liées au climat

Contrairement au prix du pétrole qui a nettement reculé sur les derniers jours, le prix de la graine oléagineuse a enregistré des progressions sur tous les marchés. Sur Euronext, les échéances de l’ancienne et de la nouvelle campagnes ont augmenté de plus de 35 €/t en une semaine, portées par le fort épisode de gel du week-end dernier, qui a vraisemblablement endommagé les colzas en fleur dans plusieurs régions. Néanmoins, l’impact de cet épisode sur le rendement moyen à l’échelle de la France pourrait être assez limité si les conditions climatiques des prochaines semaines permettent une floraison secondaire.

 

Le prix du colza de l’ancienne récolte en rendu Rouen a augmenté de 10 €/t sur la semaine, à 961 €/t. La nouvelle récolte s’est, quant à elle, traitée à 831 €/t le 7 avril, un prix en progression de 39 €/t sur une semaine.

 

Les prix ont aussi été soutenus par un temps relativement sec au Canada, à l’approche des semis. L’humidité des sols superficiels est notamment très en dessous de la normale dans une grande partie de l’ouest des prairies canadiennes. Les prévisions de précipitations sur les trois premières semaines d’avril s’affichent par ailleurs inférieures à la normale dans l’Alberta et l’ouest du Saskatchewan. Les agriculteurs canadiens sont particulièrement attentifs à la situation hydrique de leurs terres cette année, étant donné l’épisode de sécheresse et de températures extrêmes qu’ont subi leurs cultures l’été dernier.

 

Si le temps s’avérait effectivement sec sur avril et mai, cela pourrait les décourager de semer totalement les surfaces prévues. Ce point reste donc à suivre de près. Ainsi à Vancouver, le prix du canola a augmenté de 18 $/t sur l’échéance de mai 2022, et de 34 $/t sur la nouvelle récolte (échéance de novembre 2022).

Recul du tournesol

Les prix du tournesol se sont un peu affaissés cette semaine, perdant 20 €/t à Saint-Nazaire pour la qualité oléique (à 960 €/t le 7 avril 2022). Les prix de la nouvelle récolte ont reculé également (de 20 €/t à 780 €/t pour la qualité standard à Saint-Nazaire). Plusieurs éléments fondamentaux sont à l’origine de cette baisse : d’une part, l’annonce de la possibilité de cultiver sur les terres en jachère par la Commission européenne semble surtout profiter au tournesol. Cela nous a conduits à revoir en hausse notre prévision de surfaces pour la récolte de 2022 dans l’Union européenne.

 

Par ailleurs, les semis de printemps ont démarré en Ukraine. Bien que les surfaces concernées soient pour le moment limitées, cela a rassuré le marché. La Commission européenne pourrait prendre rapidement des mesures d’aides pour le secteur agricole ukrainien. Cela ne remet toutefois pas en cause le fait que la surface de printemps sera probablement divisée par deux en Ukraine cette année.

 

De plus, un très petit flux d’exportation de tournesol s’est mis en place pour les tournesols ukrainiens via le port roumain de Constanta. Les coûts de transport sont relativement élevés, d’environ 130-160 $/t de l’intérieur de l’Ukraine au port, et les volumes extrêmement faibles par rapport aux flux habituels d’exportation ; ainsi la durabilité de ce flux est incertaine mais ce redémarrage très timide d’une activité d’exportation a exercé aussi un petit effet baissier sur les cours des autres origines.

 

Enfin, la flambée de l’épidémie de Covid en Chine et les confinements mis en place dans de nombreuses villes vont très certainement entraîner un ralentissement de la demande en huiles végétales, avec une chute de la consommation hors foyer (surtout dans les chaînes de fast-food). Cela a aussi contribué à peser sur les cours des graines de tournesol cette semaine.

Les prix du soja augmentent encore

Les cours du soja s’apprécient de 10 à 15 $/t cette semaine, soutenus par une nouvelle diminution des disponibilités au Brésil et en raison du gel qui touche l’Argentine. À Chicago, sur le rapproché, le prix du soja repasse même au-dessus des 600 $/t. L’échéance de septembre progresse, quant à elle, de 13 $/t à 554 $/t.

 

Au Brésil, le prix Fob progresse de 12 $/t, même si les récoltes touchent à leur fin. Environ 85 % de la surface brésilienne est récoltée. La récolte est terminée dans les États du Centre brésilien, tandis que les États du Sud poursuivent les travaux, le Paraná étant avancé à hauteur de 85 %, alors que la récolte dans le Rio Grande do Sul est retardée par des précipitations (un tiers des surfaces récoltées, contre environ 60 % habituellement).

 

Cette semaine, le Conab (société nationale d’approvisionnement) a encore revu à la baisse sa prévision de récolte de 3,1 millions de tonnes, pour atteindre 122,4 millions de tonnes (–11 % par rapport à la campagne précédente). Les dégâts liés au temps très sec et chaud de décembre et janvier ont été finalement encore plus forts que prévu.

 

En Argentine, 10 % de la surface est récoltée, avec des cultures jugées en état bon à excellent sur 25 % de la surface : ce chiffre est en baisse de 8 % en une semaine, selon la Bolsa de Cereales dans sa publication hebdomadaire. En effet, depuis une dizaine de jours, des épisodes de gels frappent les cultures sur l’ensemble du bassin de production. Ces gelées affectent surtout les parcelles plantées le plus tardivement, qui sont encore en plein développement. Cela pourrait conduire à des révisions à la baisse de la prévision de production argentine.

L’offre sud-américaine est donc encore affaiblie, et les récentes évolutions de prix rendent encore plus compétitive la marchandise US pour des livraisons sur la fin de la campagne de 2021-2022 (qui se termine en septembre).

 

Concernant la prochaine campagne, les semis US devraient débuter dans une dizaine de jours, sur un bassin de production à l’humidité des sols correcte et qui devrait continuer à recevoir des précipitations dans les prochains jours. Les Dakotas, le Nebraska et le Kansas sont néanmoins assez secs. Ce sont ces États qui avaient le plus souffert du manque d’eau lors de l’été dernier. La surface US de soja est prévue en hausse, ce qui devrait permettre une remontée de la production. Pour l’instant, les sojas US sont très compétitifs sur le début de campagne de 2022-2023, et devraient être plus sollicités que l’an dernier par la Chine sur la période d’octobre à décembre. Cela devrait soutenir le prix du soja US jusqu’à la fin de l’année 2022.

 

Petit recul des tourteaux de soja, qui restent néanmoins très chers

Les cours du tourteau de soja évoluent à la baisse sur le rapproché : –8 $/t à à Chicago (à 507 $/t), –4 €/t à Montoir (à 570 €/t) et –3 $/t pour le Fob argentin (à 526 $/t).

 

Les cadences de trituration sont toujours bonnes aux USA, Brésil et Argentine, et boostent les disponibilités, ce qui pèse un peu sur les prix. Toutefois, ce n’est pas le cas en Chine, où les marges de trituration sont mauvaises, et où la trituration est en baisse cette campagne de 7 % entre octobre et mars (par rapport à la même période l’an dernier).

 

L’évolution de la situation sanitaire en Chine est à surveiller, étant donné que des confinements prolongés pourraient réduire la demande en viande, et par ricochet la demande en tourteau. Malgré les prix élevés du tourteau de soja, celui-ci garde une très forte compétitivité dans les rations par rapport aux autres tourteaux et aux céréales, au niveau européen et mondial.

 

Rebond du pois

Sur la semaine, le prix du pois fourrager départ Marne pour la campagne en cours a augmenté de 5 €/t à 400 €/t, soutenu par la demande des fabricants d’aliments — toujours à la recherche d’alternatives au tourteau de tournesol ukrainien, indisponible actuellement — mais aussi par la vague de froid du week-end dernier qui pourrait avoir affecté les cultures en développement.

 

Pour la nouvelle campagne, le prix se situe à 385 €/t pour des livraisons en juillet et décembre. Les cours du pois pourraient en effet rester assez élevés sur la campagne de 2022-2023 compte tenu du conflit en mer Noire qui risque de priver le monde d’une partie des volumes habituellement exportés de pois de l’Ukraine et de la Russie. Ces deux pays totalisent ensemble entre 1 et 1,5 million de tonnes d’exportations de pois par an.

À suivre : guerre en Ukraine, prix du pétrole, sanctions envers la Russie et ampleur des exportations russes, situation sanitaire en Chine (demande en viandes et huiles), climat en Amérique du Nord (semis de blé de printemps, de maïs, soja et de canola), en Europe (toutes cultures), évolution de la politique biocarburants en Europe.