« Le marché mondial stagne depuis un mois, fait savoir Timothé Masson, du département de l’économie de la CGB (Confédération générale des planteurs de betteraves). La dernière campagne brésilienne a été exceptionnelle. Sur le centre-sud du pays — grosse région brésilienne de canne à sucre — la production est annoncée supérieure à 42 millions de tonnes. Il s’agit d’une progression de 25 % en un an. C’est vraiment gigantesque et cela pulvérise le dernier record qui était à 38,5 millions de tonnes. Ils ont eu de bons rendements mais surtout il y a eu une allocation au sucre historique car ce marché était vraiment intéressant. À l’inverse, celui de l’éthanol n’a pas été au rendez-vous au Brésil. Quant à la nouvelle campagne, commencée en avril, elle démarre pour l’instant très vite. »

Baisse en Inde et Thaïlande

« La campagne en Inde et Thaïlande ne commencera qu’en octobre prochain et on ne s’attend pas à des récoltes phénoménales. La dernière campagne indienne a été décevante à tout juste 35 millions de tonnes (alors que par le passé elle a été jusqu’à 38 millions de tonnes). En Thaïlande, elle était sous les 10 millions de tonnes, donc décevante aussi. Ces deux pays ont en effet souffert de El Niño. La plupart des gens s’attendent de plus à partir d’octobre à une prochaine campagne décevante. »

« En outre, il y a quand même des spéculateurs qui anticipent une baisse. Ces derniers sont nets vendeurs de 2,2 millions de tonnes : c’est un record depuis 2020 mais le marché ne plonge pas pour autant. Ainsi, si le marché mondial était à 22 cents [de dollar] la livre en avril, il se tient désormais au-dessus des 19 cents alors même que l’annonce brésilienne aurait dû le faire plonger. »

« Le marché reste également robuste parce que les stocks manquent dans la plupart des pays consommateurs. L’agence S&P estime, par exemple, que la Chine — gros pays consommateur — aurait des stocks de 1,4 million de tonnes à la fin de septembre 2024. C’est deux fois moins qu’il y a deux ans. »

Suspension des importations ukrainiennes

« Dans ce contexte, sur le marché européen les flux de sucres ukrainiens vont être suspendus à partir de juin et jusqu’à la fin de la campagne de 2023-2024. Il devrait y avoir uniquement 270 000 tonnes de sucre qui pourrait rentrer d’Ukraine vers l’Union européenne (UE) en 2024-2025, soit moins que la campagne en cours. En effet, selon la Commission européenne, pour 2023-2024 elle devrait atteindre au total 650 000 tonnes avant la suspension du flux en juin. »

« En regardant les fondamentaux européens, il y aurait une certaine logique que le marché spot reparte à la hausse », considère Timothé Masson, du département de l’économie de la CGB. (©  Maxime Urvoy)

« Cette décision va donc surtout agir sur 2024-2025. Elle est bienvenue car la quantité moindre importée d’Ukraine — autour de 400 000 à 500 000 tonnes — équivaut à ce qu’on risque de produire en plus en Europe compte tenu de la hausse des surfaces. On parle ainsi de 50 000 hectares en plus sur l’Union européenne cette année. La bonne production de l’an dernier a en effet permis la hausse des surfaces de 5 % en France et de l’ordre de 4 % dans l’Union européenne. »

Marché spot stable

« Dans ces conditions, le marché reste stable. S’il y a eu une baisse du marché spot, il se stabilise désormais autour de 700 €/t avec l’effet “Ukraine” et le retard de semis de 2,5 semaines. La date moyenne des semis en 2024 en France est en effet le 14 avril, alors que d’habitude c’est le 29 mars (moyenne quinquennale). De plus, le risque de jaunisse est annoncé élevé cette année. La probabilité de faire un bon rendement est donc moindre. Le marché spot pourrait retrouver des couleurs. En regardant les fondamentaux européens, il y aurait en effet une certaine logique qu’il reparte à la hausse. »