L’histoire
Anne était propriétaire de plusieurs parcelles qu’elle exploitait pour son compte. En outre, elle mettait en valeur d’autres parcelles dans le cadre d’un bail que Marc lui avait consenti ainsi qu’à Yves, son époux.
En vue de réaliser le contournement du village, le ministère des Transports avait procédé à l’expropriation de certaines parcelles appartenant à Anne et de trois des parcelles exploitées par cette dernière, dont le bail avait été résilié. L’État avait fixé les indemnités en rapport avec les superficies expropriées et en tenant compte du préjudice occasionné par l’éviction.
Le contentieux
Estimant qu’elle avait fait l’objet d’une emprise partielle de nature à compromettre gravement l’équilibre de son exploitation, Anne avait saisi le juge de l’expropriation en vue d’obtenir une indemnité d’éviction correspondant à celle qu’elle aurait pu recevoir dans le cas où la totalité de l’exploitation prise à bail aurait été expropriée.
En effet selon l’article L.242-4 du code de l’expropriation, lorsque l’emprise partielle compromet la structure de l’exploitation en lui occasionnant de graves déséquilibres, le preneur est indemnisé comme si l’expropriation avait porté sur la totalité des biens exploités. On considère comme gravement déséquilibrée toute exploitation agricole dont un bâtiment essentiel à la vie de l’exploitation est exproprié et ne peut être reconstruit ou dont le pourcentage des terres expropriées représente une valeur de productivité supérieure à 35 %. Ainsi, tel était bien l’objet de la demande d’Anne. L’expropriation, qui portait sur les trois parcelles prises à bail était bien partielle et avait entraîné un grave déséquilibre de son exploitation, lui interdisant d’en poursuivre la mise en valeur. L’indemnité d’éviction devait couvrir l’entier préjudice occasionné par la résiliation du bail et devait correspondre à celle qu’elle aurait perçue si l’expropriation des biens loués était totale.
Mais les juges avaient botté en touche. Ils avaient déclaré la demande d’Anne irrecevable. En effet, il existait une unité d’exploitation entre les trois parcelles dont Anne et Yves revendiquaient être, chacun, l’exploitant et il n’était pas établi qu’Anne était seule exploitante des parcelles sous emprise partielle, sur lesquelles ils étaient cotitulaires d’un bail. Aussi, Anne était bien irrecevable à demander, seule, l’éviction totale des parcelles constituant l’exploitation. La solution n’a pu qu’être confirmée par la haute juridiction.
L’épilogue
En voulant agir seule, Anne n’a-t-elle pas été quelque peu téméraire ? Elle aurait dû associer Yves dans sa demande. Pour autant, aurait-elle été fondée ? Rien n’est moins sûr, car le juge de l’expropriation dispose d’un large pouvoir pour apprécier les conséquences de l’expropriation partielle et déterminer si l’emprise est de nature à lui occasionner un grave déséquilibre.