L’histoire

L’histoire porte sur un litige situé en Guadeloupe. Par acte du 22 février 2006, Louise, propriétaire de diverses parcelles, réservées à la production de canne à sucre, les avait données à bail à la société civile d’exploitation agricole des Hauts de Basse Terre, pour une durée de neuf ans, moyennant un fermage de 38 600 euros par an. Le bail avait été renouvelé le 22 février 2015.

La situation économique de la SCEA s’étant dégradée, cette dernière avait tardé à payer les fermages échus de 2012 à 2015. Aussi, Louise avait-elle, le 22 novembre 2018, fait délivrer à la société un commandement de payer la somme de 115 800 euros correspondant à l’arriéré de fermages.

Le contentieux

La société Les Hauts de Basse Terre avait alors assigné Louise en annulation du commandement de payer, en soulevant la prescription de la demande. Elle avait soutenu que la bailleresse n’avait pas agi en temps utile de sorte que la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil était applicable aux fermages échus.

Mais pour Louise, la prescription n’était pas acquise. En effet, divers contentieux opposant la bailleresse et la société preneuse l’avaient empêché d’agir utilement. En particulier, l’action exercée par cette dernière aux fins de voir fixer le point de départ et le mode de calcul du fermage. Cela avait eu pour effet de suspendre le délai de prescription jusqu’au prononcé d’un arrêt avant dire droit du 28 août 2018. Dans l’attente du résultat de cette action, Louise était alors dans l’impossibilité d’agir, selon elle, en paiement des loyers dès lors que le quantum de sa créance était subordonné à l’issue de ce litige.

Cet argumentaire trouvait son fondement juridique dans l’article 2234 du code civil. Selon ce texte, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Il s’agit de la transcription de l’adage latin : « contra non valentem agere, non currit prescription » (la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir utilement). En première instance et en appel, les juges avaient opté pour la thèse de Louise.

Mais leur motivation a été censurée par la Cour de cassation au visa de l’article 2234 du code civil. En effet, les litiges en cours n’empêchaient pas la bailleresse d’assigner la preneuse en paiement des fermages et ne suspendaient pas la prescription de cette action. Les juges avaient donc méconnu le texte du code civil.

L’épilogue

La juridiction de renvoi devra tenir compte de la prescription quinquennale et pourra donc considérer comme prescrits les fermages échus et antérieurs au 22 novembre 2013, en l’état de la demande de la société preneuse. Une solution bien profitable pour le compte d’exploitation de la société Les Hauts de Basse Terre.