« Il faut que l’expérimentation sur la filière française du cannabis puisse commencer rapidement alors qu’elle a déjà pris beaucoup de retard », prévient d’emblée le député de l’Essonne Robin Reda (LR) en présentant son rapport d’étape sur l’usage thérapeutique du cannabis, le mercredi 16 septembre 2020 à l’Assemblée nationale à Paris. Prévu par la loi de financement de la Sécurité sociale votée à la fin de 2019, le décret qui autorise cette expérimentation n’est toujours pas paru. Elle pourrait commencé au début de 2021, « ce qui est déjà trop tard à mes yeux ».
Certes, mais tout le personnel politique n’a pas l’air si pressé. En particulier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui est intervenu cette semaine dans plusieurs médias en déclarant : « C’est une lâcheté de faire pousser du cannabis parce que c’est de la merde. » Robin Reda lui répond : « La lâcheté, c’est de faire exprès de confondre les débats et de mélanger les différents usages du cannabis. Le ministre de l’Intérieur referme la discussion parce qu’il ne sait pas ce qu’est la plante de chanvre. »
Réintroduire de la nuance
Il existe déjà en France une filière du chanvre mais elle n’a pas l’autorisation d’exploiter les fleurs de cannabis. C’est là où on peut trouver les principes actifs thérapeutiques, même si elle peut aussi contenir des THC psychotropes pour certaines variétés. Selon l’interprofession Interchanvre, 16 400 hectares de chanvre sont cultivés en France (chiffres de 2017). Ses produits partent dans différentes filières (bâtiment, isolation, jardin, litière pour animaux, papier, textile, huile alimentaire, cosmétique, pêche, etc.).
« C’est pourquoi il faut réintroduire de la nuance dans ce débat », reprend Robin Reda. Le cannabis peut avoir un rôle thérapeutique, qui diffère aussi bien de l’usage bien-être non psychotrope et ses dérivés non-alimentaires (CBD) que de l’usage récréatif (autrement dit le « joint » dans un autre niveau de langage). « Ce qui est de la merde, c’est le trafic de drogue et pas une plante qui sert à faire des bâtiments ou des matériaux industriels », poursuit Robin Reda. « Dès que vous parlez du cannabis, on estime que vous parlez de drogue alors que quand vous parlez d’opiacées, on entend que vous parlez de médicaments », s’étonne le député de la Creuse Jean-Baptiste Moreau, rapporteur de la mission parlementaire à l’origine de ce premier rapport d’étape.
Pour Robin Reda, « il y a un enjeu de souveraineté économique sanitaire et agricole dans la filière du cannabis thérapeutique alors que la France possède déjà les savoir-faire industriels et agricoles. »
Le dilemme des malades
Selon les calculs de l’entreprise britannique spécialisée Emmac, cette expérimentation est attendue par 700 000 malades français qui pourraient soulager leurs douleurs. Pour l’instant, ils font comme ils peuvent, quitte à se mettre dans l’illégalité : certains fument du cannabis récréatif avec un objectif thérapeutique, d’autres se fournissent à l’étranger, et d’autres encore font pousser des plants chez eux. « Depuis 1970, l’usager est à la fois un délinquant et un malade qu’il convient de traiter et la législation a peu évolué depuis », écrit la mission de l’Assemblée. L’expérimentation prévoit de tester les médicaments auprès de 3 000 patients affectés par cinq maladies (sclérose en plaques, soins de support en oncologie, soins palliatifs, douleurs réfractaires aux thérapies, épilepsie). « L’usage thérapeutique n’est pas le cheval de Troie du récréatif », répète la députée du Loiret Caroline Janvier (LREM).
La France fait partie des cinq derniers pays européens à ne pas avoir évolué sur l’autorisation d’exploiter la fleur de cannabis, tout du moins au-dessus d’une teneur de 0,2 % de THC. La non-culture de ces variétés, et plus généralement l’interdiction d’exploiter les fleurs, rend impossible la participation des agriculteurs français à l’expérimentation. « Une évolution du droit est un préalable nécessaire au développement de cette filière et exige un dialogue entre les ministères en ce sens », recommande la mission interministérielle. Jean-Baptiste Moreau ajoute : « Ce n’est pas parce que vous exploitez la fleur que vous ne pouvez pas exploiter la fibre ou la tige. »
À l’instar de l’Allemagne, la commission recommande le contrôle de la filière par un organe public, à l’image de ce qu’était le Seita pour le tabac.
Un faible impact agricole
Si l’éventuelle filière du cannabis thérapeutique représente un enjeu national de souveraineté, son développement serait aussi un levier de développement économique de certains territoires ruraux. Des projets existent déjà. L’entreprise lilloise Elican biotech estime être en mesure de fournir des médicaments à une échéance d’un an et demi. Le laboratoire Stanipharm se tient prêt pour extraire les matières à partir du moment où la production des fleurs sera standardisée. Le groupe InVivo avait déposé, dès 2019, une demande de dérogation pour commencer la production. Toutefois, le groupe coopératif a abandonné son projet après la crise du Covid-19 mais aussi en raison des retards dans le lancement de l’expérimentation.
Cependant, l’expérimentation du cannabis thérapeutique ne devrait pas conduire la France à se couvrir de chanvre : « Pour cet usage thérapeutique, les cultures se feront plutôt dans des bâtiments fermés parce qu’il faut maîtriser de façon certaine la pollinisation croisée ou la qualité des plants. De plus, les besoins seront assez vite comblés avec peu d’hectares », explique Jean-Baptiste Moreau. Lors de son audition par la mission parlementaire le 3 juin 2020, la directrice d’Interchanvre Nathalie Fichaux avait déploré que le cannabis médical cultivé en bâtiment n’offre pas de revenu aux agriculteurs mais aux laboratoires.
« Mais je connais un agriculteur en Creuse, Jouanny Chatoux, qui est prêt à implanter un centre de recherche dans un ancien site militaire pour tester la validité des cultures. Pour l’instant, c’est surtout le cadre législatif qui manque », insiste Jean-Baptiste Moreau. Si le décret ne veut pas sortir, il prévient qu’il est prêt à déposer une proposition de loi.
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