L’Anses a fait l’objet d’une saisine en juin 2020 sur cette question, une vive polémique ayant émergé ces dernières années à la suite d’une campagne antinitrites orchestrée par la Ligue contre le cancer et son très médiatique président, feu le professeur Axel Kahn.

Des DLC réduites

Lors du point de presse de présentation ce 12 juillet 2022, les scientifiques de l’Anses ont insisté sur le fait que toute réduction de nitrites induira parallèlement une diminution plus ou moins forte de la DLC (date limite de consommation).

 

À l’extrême, sans aucun nitrite, cette DLC serait abaissée de manière « considérable », selon Laurent Guillier de l’Unité d’évaluation des risques, soit « de l’ordre de la semaine » quand cette DLC est de 2-3 semaines classiquement avec les charcuteries nitrités.

À adapter selon les catégories de produits

Ces mesures seraient, d’après l’Anses, à adapter en fonction de chaque catégorie de produits. Pour le jambon cuit, il faudrait absolument informer le consommateur du raccourcissement de la date de consommation. Pour le jambon sec, cela supposerait « un contrôle strict du taux de sel et de la température au cours des étapes de salage, de repos et d’affinage du produit ».

 

L’Anses souligne que les bouillons végétaux utilisés par les industriels pour afficher « sans nitrites ajoutés » ou « zéro nitrite » ne sont pas une réelle alternative. Pourquoi ? Parce que les nitrates qu’ils contiennent vont se transformer en nitrites sous l’action des bactéries. Ces produits dits ‘ sans nitrite ajouté’ ou ‘ zéro nitrite’ contiennent donc des nitrates et des nitrites cachés», souligne l’agence.

200 nouvelles publications

L’Anses dit avoir analysé un peu moins de 200 nouvelles publications en cancérologie postérieures à l’expertise menée par l’Efsa en 2017 et le Circ en 2018. Elle confirme sur la foi de ces dernières études l’existence d’une association entre le risque de cancer colorectal et l’exposition aux nitrites/nitrates qu’ils soient ingérés avec la viande transformée ou avec l’eau de boisson. Un risque qui serait dû à la formation de composés nitrosés.

 

Mais l’agence considère en même temps que, toutes sortes d’exposition confondues, près de 99 % de la population ne dépasse pas les doses journalières admissibles [DJA] établies précédemment par l’Efsa pour les nitrates et les nitrites. Néanmoins, l’Anses suggère d’étudier une DJA globale, commune aux nitrates et aux nitrites, « compte tenu de leur transformation en composés nitrosés ».

 

Même si les limites d’exposition de la population sont majoritairement respectées, l’Anses considère que l’ajout d’additifs nitrités et nitratés dans la charcuterie « doit se faire dans une approche « aussi bas que raisonnablement possible ». Ceci pour tenir compte du fait que ces expositions sont tout de même associées « à la formation de composés augmentant la probabilité de cancers ». C’est la justification avancée par l’Anses pour émettre ses recommandations qui rappelle par ailleurs qu’il faut consommer moins de 150 g de charcuterie par semaine.

Et les nitrites salivaires d’origine métabolique ?

Dans son analyse, l’Anses s’est focalisée sur les nitrites ingérés via l’alimentation par le biais de la charcuterie, mais curieusement elle a passé sous silence les nitrites salivaires d’origine métabolique qui parviennent eux aussi dans l’estomac et qui aboutissent in fine à la formation d’oxyde nitrique (NO), une molécule utile, gouvernant nombre de processus physiologiques (notamment cardio-vasculaires).

 

Dans une tribune parue le 28 mai dernier dans nos colonnes, le docteur Jean-Louis L’hirondel, ancien praticien hospitalier, calculait de manière très étayée que les nitrites issus de viandes transformées présents dans l’estomac d’un Français d’aujourd’hui représentaient moins de 1 % de l’ensemble des nitrites, le reste étant d’origine purement métabolique et par conséquent hors d’atteinte de toute velléité réglementaire. En d’autres termes, il n’y a pas de prise possible sur les nitrites salivaires afin de les réduire. D’ailleurs pourquoi faudrait-il chercher à en avoir vu la molécule d’intérêt qui est au bout (le NO), d’autant plus c’est un processus naturel et utile de l’organisme ?

 

Le débat n’est sans doute pas clos sur une question éminemment compliquée… Toutefois, cet avis était à peine sorti que le gouvernement dégainait dans la foulée un plan d’actions visant à réduire l’ajout des additifs nitrés dans les produits alimentaires.