L’instruction des demandes d’aides bio réserve décidément bien des surprises. Non seulement l’instruction des dossiers depuis 2015 a eu lieu avec plusieurs campagnes de retard, mais certaines anomalies ne peuvent être détectées qu’au terme du contrat. Certains points bloquants, non révélés jusque-là, commencent à alerter les réseaux de producteurs bio.

Durée d’engagement raccourcie

L’un des cas les plus problématiques concerne les parcelles en « prairies artificielles à base de légumineuses » sur lesquelles ont été signés, en 2015, des contrats bio d’une durée raccourcie (inférieure à 5 ans). Les agriculteurs ayant bénéficié d’aides bio sur la programmation Pac précédente pouvaient en effet signer un nouvel engagement de 1 à 4 ans en 2015, afin d’arriver à un total de 5 ans d’aides (en conversion ou maintien).

 

Or ces « prairies artificielles à base de légumineuses » doivent être en rotation avec une culture annuelle, sous peine d’être considérées comme des « prairies associées à un atelier d’élevage », dont les montants d’aides sont moins avantageux. Les agriculteurs ont donc l’obligation d’implanter une culture annuelle au moins une fois sur la période d’engagement.

 

Surprise : ce n’est pas la durée d’engagement totale qui est prise en compte pour contrôler le respect de cette obligation, mais la durée après 2015. Les dossiers des agriculteurs ayant implanté une culture annuelle durant les premières années de leur engagement, avant 2015, sont donc non-conformes s’ils n’ont plus déclaré que de la prairie depuis 2015…

Jusqu’à 40 000 € en jeu

C’est le cas de Jean-François Vincent, président de Bio Centre. Après avoir touché des aides bio pendant trois ans, il réengage, en 2015, 7 ha de prairies artificielles à base de légumineuses en « maintien ». Il s’était acquitté de l’obligation de mise en place de culture annuelle avant 2015.

 

Pour n’avoir pas remis de céréale en 2015 et 2016, la sanction est tombée : « 1 000 € d’aides non versées et une pénalité de 2 000 €, à multiplier par le nombre d’années de contrat : je perds donc 6 000 € », calcule cet éleveur bio. Parce que le respect de cette clause ne peut être contrôlé qu’au terme de l’engagement, il n’a été informé de cette sanction qu’à la fin de 2018, lorsque l’instruction de la campagne de 2016 s’est achevée.

 

D’autres cas ont été révélés, à mesure que se terminait l’instruction des campagnes de 2016, 2017, puis 2018. « Aujourd’hui, on a recensé 19 dossiers concernés dans la Région. Pour le moment, nous n’avons été ponctionnés que sur les aides de la dernière année. Mais légalement, les sanctions sont à multiplier par le nombre d’années de contrat. Dans certains cas, les sommes en jeu dépassent 40 000 € : certains ont une pénalité de 15 000 € par an, sur des contrats de trois ans. »

En panne de solution

La plupart des Régions seraient concernées, à des degrés divers. Dans les Pays de Loire, l’administration avait évoqué « au moins 11 dossiers » en décembre, un chiffre « probablement sous-évalué car toutes les DDT n’avaient pas remonté leurs informations », estime Patrick Lemarié, chargé du suivi des aides de la CAB (réseau des agriculteurs bio des Pays de la Loire). À ce jour, aucune solution n’a été trouvée pour traiter ces dossiers.

 

« La Fnab et le conseil régional demandent au ministère que le respect de l’engagement soit bien contrôlé sur les 5 ans, y compris la période avant 2015. Mais le ministère refuse jusqu’à présent. » Il serait compliqué de remonter dans l’historique des parcelles avant 2015, période à laquelle les aides bio relevaient du premier pilier…

Disparité de traitement

À défaut, des « bricolages » sont évoqués pour réduire les pénalités exigibles des producteurs, explique Jean-François Vincent : « Certaines DDT semblent avoir trouvé une parade en proposant aux agriculteurs de requalifier leurs parcelles en “prairies associées à un atelier d’élevage”. Le montant d’aide est moindre, mais il est versé et aucune pénalité ne s’applique. D’autres DDT auraient décidé de supprimer complètement la demande d’aide. Il y a une inégalité de traitement entre les agriculteurs de départements différents… »

 

Cette situation est d’autant plus inacceptable que les règles du jeu n’étaient pas lisibles. « La plupart des contrats courts, qui portaient sur les années 2015 à 2018 au maximum, ont été signés début 2018 : on a signé des contrats sur des choses qui étaient déjà faites », dénonce l’éleveur.

Des règles illisibles

D’ailleurs, le manque de lisibilité sur les règles est tel que le problème sur les contrats raccourcis ne constitue « qu’un problème parmi d’autres », insiste Patrick Lemarié, à la CAB. Dans les Pays de Loire, l’administration aurait relevé une quinzaine de types d’anomalies d’instruction, dont la plus fréquente serait liée à une absence ou insuffisance de chargement sur les prairies.

 

« De toute façon, il y avait un problème dès le départ puisqu’au moment de s’engager, les agriculteurs n’avaient pas accès aux notices décrivant les règles à suivre pour toucher les aides, note Patrick Lemarié. Ils respectaient le cahier des charges bio, mais pas forcément la réglementation des aides bio. » Surtout quand celle-ci manque cruellement de bon sens…