Lorsqu’ils découvrent la multiplicité de leurs fournisseurs, les chefs cuisiniers prennent d’abord souvent peur. « Je me souviens de l’un d’entre eux qui travaillait auparavant dans une cuisine centrale, uniquement avec des grossistes, raconte Sophie Aucherie, animatrice en restauration collective du Groupement des agriculteurs bio de Vendée (GAB 85). Il venait remplacer dans une petite cantine un autre cuisinier très moteur qui était parvenu, en lien avec les producteurs alentour, à intégrer 25 % de produits bio et locaux dans ses menus. Le nouveau s’est demandé comment il allait faire. » Le GAB 85 l’a alors convié à une visite de ferme. Et un miracle s’est réalisé. « Le fait de valoriser un produit dont il connaissait les qualités lui a permis de redonner du sens à son métier, qu’il avait perdu au fil des années passées dans sa grande cuisine centrale. »
Pour le groupement, la mise en lien direct du producteur avec le cuisinier apparaît comme le premier pas décisif vers une relocalisation de l’approvisionnement des cantines. « La restauration collective n’est pas le secteur que les agriculteurs privilégient en priorité. Pour ceux avec qui nous travaillons, ce débouché représente 20 à 50 % de leur chiffre d’affaires, estime Sophie Aucherie. L’activité se construit de façon progressive, en confiance avec le producteur bio et le cuisinier. »
S’organiser à plusieurs
Tout un travail de planification est notamment à mener. « On ne peut pas seulement vouloir travailler avec les cantines pour se débarrasser d’un surplus de production, rappelle l’animatrice. Cela s’organise. » L’aspect collectif se révèle être un levier essentiel : en faisant le lien entre cuisiniers et agriculteurs, le GAB parvient à structurer les filières en matière de planification des achats alimentaires.
L’association nationale Agrilocal a suivi la même logique. « Nous avons créé dans 38 départements des plateformes en ligne de mise en relation entre producteurs et acheteurs, résume Nicolas Portas, directeur de l’association et fils d’agriculteur. Ce service gratuit permet à une offre locale de trouver un débouché avec un acteur de la restauration collective et de développer des circuits alimentaires de proximité. » Sur les 38 départements, 4 888 fournisseurs sont connectés sur l’outil avec 2 953 acheteurs publics.
Les origines sur le menu
Dans les Deux-Sèvres, la communauté de communes du Pays Mellois a choisi un modèle hybride pour ses 45 cantines et ses 2 500 repas servis au quotidien. « Au départ, il y a une dizaine d’années, nous avons d’abord rencontré les producteurs locaux, souligne Marie-Emmanuelle Saintier, vice-présidente de la collectivité en charge de la restauration scolaire. Dans le même temps, le département a initié le réseau Rivalis qui, transformé depuis en association, réunit plusieurs agriculteurs qui ont la stature pour pouvoir répondre à des marchés publics. Nous travaillons aussi avec le Civam Poitou-Charentes, ainsi qu’avec l’organisation « Le clic paysan » qui réalise en priorité des paniers pour des consommateurs privés mais, en cas de surplus, ils nous vendent leurs légumes. Nous nous arrangeons avec tout le monde pour être sûrs d’être fournis. » L’hiver, le Pays Mellois n’a d’autre choix que de faire appel à des grossistes. « Nous manquons souvent de légumes. » Au final, chaque repas affiche 48 % de produits locaux et 19 % de bio. Et sur chaque menu, figure le nom de l’agriculteur qui a fourni le produit. « Certains voient revenir chez eux des parents dont les enfants ont apprécié le yaourt, le légume ou encore la viande. »
Pour tout agriculteur intéressé, « il faut se renseigner auprès des élus. L’intérêt de ce type de débouché va dépendre des filières », constate François Mauvais, de l’association Cantines responsables. Il faut aussi regarder s’il existe un projet alimentaire territorial auquel les agriculteurs peuvent se greffer, qu’ils soient en conventionnel, bio, petit ou gros.
Rosanne Aries