Les tensions autour du stockage de l’eau ont franchi un cap ces dernières semaines, avec le saccage de retenues d’irrigation dans le Centre-Ouest. « Justice devra être rendue. Rien ne justifie de telles dégradations », a réagi Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, après l’action qui s’est déroulée le 6 novembre 2021, avec le soutien du collectif « Bassines non merci » et de la Confédération paysanne, à Cram-Chaban, en Charente-Maritime.
La réserve lacérée et incendiée a été construite légalement il y a dix ans, mais est en procédure de réévaluation des volumes prélevables depuis trois ans.
Ces actes ont aussi été condamnés par la FNSEA, JA, l’APCA et la Coordination Rurale. « Je suis atterré par ce qu’il s’est passé, cela me replonge dans les périodes sombres de l’irrigation, du stockage de l’eau en France », s’est exclamé Éric Frétillère, président d’Irrigants de France, lors de l’assemblée générale du syndicat à Tours, le 10 novembre 2021. Il demande « que l’État prenne ses responsabilités, que ces gens soient jugés et condamnés. Cela ne doit pas remettre en question le modèle de l’irrigation et de l’agriculture de demain. »
Mobilisation des #agriculteurs pr la défense des projets agricoles de #territoire sur le site de la réserve de Mauzé-sur-le-Mignon: #souverainetéalimentaire #eau #agriculture #emploi @FNSEA_Nlle_Aqui @FNSEA79 @FNSEA pic.twitter.com/XqeeknlcVt
— Isabelle CAUMET (@IsabelleCaumet) November 6, 2021
Du côté de la Confédération paysanne, le message est clair : « C’est bien la question du modèle agricole que posent ces méga-bassines. » Le syndicat défend « une irrigation en lien avec les écosystèmes », avec des réserves plus petites.
L'eau est indispensable à la vie et à l'agriculture. Elle doit donc être préservée et équitablement partagée entre agris. Cette action de démontage vise l'accaparement, la privatisation d'un commun à grands coups d'argent public pour un modèle dépassé. #COP26 @lessoulevements https://t.co/mZKw7vNfl0
— Nicolas Girod (@NicolasGirod3) November 7, 2021
Accords et désaccords
« Les actions sont de plus en plus violentes sur le bassin de la Sèvre Niortaise », concède Luc Servant, président de la chambre régionale d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine. La préfecture de Charente-Maritime a ainsi prévu une surveillance renforcée par les gendarmes des autres réserves du secteur.
Ces manifestations interviennent après trois ans d’accords et de désaccords entre les différentes parties prenantes. En effet, après des mois de débats tendus ayant abouti à une impasse, la préfète des Deux-Sèvres oblige en 2018 tout le monde à revenir autour de la table. Sous son arbitrage, les discussions débouchent sur la signature d’un « protocole d’accord pour une agriculture durable » sur les réserves d’irrigation en décembre 2018. Il attribue aux agriculteurs des volumes d’eau réduits au regard de ceux dont ils disposaient au début des années 2000.
Les irrigants s’engagent à réaliser des diagnostics environnementaux et à suivre les préconisations qui doivent en découler sur les assolements, la présence de haies… Élus, représentants de l’agriculture et organisations de protection de la nature (1) ont signé l’accord. Mais la colère gronde. « Menteurs ! Traîtres ! », crient les membres du collectif « Bassines non merci », qui estiment avoir été exclus des discussions. La Confédération paysanne a elle aussi refusé de signer.
Une bataille juridique
La bataille se poursuit au tribunal administratif. Plusieurs associations écologistes, dont certaines signataires de l’accord, ont attaqué l’arrêté préfectoral autorisant la construction de seize réserves en Poitou-Charentes. En mai dernier, le tribunal reconnaît sa validité et autorise les chantiers, en demandant que les volumes d’eau attribués soient revus. Confortée par cette décision, la coopérative de l’eau prépare les chantiers.
Au démarrage du premier, fin septembre, les opposants, emmenés par « Bassines non merci », organisent une manifestation à Niort, puis une seconde à Mauzé-sur-le-Mignon, le 6 novembre 2021. Entretemps, un mystérieux « gang du cutter à roulettes » s’en est pris à deux réserves anciennes sur deux communes voisines de La Laigne et Benon, en Charente-Maritime. Les bâches ont été lacérées, les réserves sont inutilisables.
« Ce qui se passe actuellement doit servir d’expérience », soutient Luc Servant, également président des travaux sur la gestion de l’eau dans le cadre du Varenne de l’eau où il y a, dit-il, « une volonté partagée d’avancer sur le sujet ». « Il faut arriver à un consensus social global et à autoriser les retenues », a soutenu Olivier Thibault, directeur de l’eau et de la biodiversité au ministère de la Transition écologique, lors de l’assemblée générale d’Irrigants de France.
Gestion publique
« S’il existe au début du processus quelques oppositions, il faut très vite trouver une solution », développe Luc Servant. Et de citer l’exemple de la Vendée, où la construction de quinze réserves a pu aller jusqu’au bout. « Ces projets ont été portés très tôt politiquement, par le Département et la Région, cela passe mieux. »
Il estime nécessaire d’avoir « une gestion publique des ouvrages, de plus en plus multiusages car les PTGE (projets de territoire) concernent tout le monde. Elle permettrait d’assurer la transparence sur les volumes prélevés et de rassurer tout le monde. La profession agricole porte cela dans le cadre du Varenne. » Cela sonnera-t-il la fin du dialogue de sourds sur le stockage de l’eau ?
> À lire aussi : Varenne de l’eau L’irrigation, un des leviers face au changement climatique (17/11/2021)
(1) Deux-Sèvres Nature environnement, Parc naturel régional du Marais poitevin, Fédération départementale de pêche.