«On revient de loin », diraient certains agriculteurs pluriactifs. Car il n’y a pas si longtemps, être pluriactif n’était pas bien vu dans la profession agricole. Le sujet était même suffisamment tabou pour que certains contacts refusent poliment de nous donner des points de chute pour des reportages. On se souvient aussi d’un congrès de la FNSEA où un élu avait dénoncé une journaliste ayant osé reprendre la ferme familiale de la Marne en parallèle de son activité d’écriture. Si la Coordination rurale est très ouverte sur la pluriactivité, le syndicat majoritaire a bien évolué en la matière (lire notre dossier page 62). « Venez comme vous êtes », déclare Luc Smessaert, son vice-président, qui parle même d’« ouverture totale ». Et c’est tant mieux car ce n’est pas aux syndicats, ni aux voisins (parfois jaloux) de dire ce que l’on a le droit de faire ou pas pour organiser au mieux sa vie et son activité professionnelle, dès lors que l’on respecte les règles collectives.

Certes, si la pluriactivité a souvent été perçue comme une solution à la précarité (donc un modèle à ne pas promouvoir), on passe de plus en plus d’une pluriactivité subie à une pluriactivité choisie. Chauffeuse de tracteur, sculpteur, responsable de silo ou serveuse dans un bar : si certaines activités complémentaires des agricultrices et agriculteurs qui témoignent dans notre dossier peuvent étonner parce qu’elles ne rentrent pas dans le « moule », où est le problème si les personnes en question ont trouvé leur équilibre ?

De toute façon, le modèle unique d’exploitation et le parcours unique n’existent plus. Surtout avec les jeunes – ou moins jeunes – non issus du milieu agricole (Nima), qu’il faudra installer pour assurer le renouvellement des générations dans les années à venir compte tenu des départs en retraite et du nombre insuffisant d’enfants d’agriculteurs prêts à prendre la relève (1). Ces Nimas n’ayant pas de parents agriculteurs ont souvent des centres d’intérêt forts (bio, transformation des produits, circuits courts, productions spécifiques, petites surfaces…) qui ne cadrent pas toujours avec les caractéristiques des fermes qui se libèrent. Preneurs et cédants doivent alors faire preuve de réalisme pour trouver une solution à la poursuite de l’exploitation, quitte à faire évoluer son modèle. Ce qui compte, c’est d’avoir des repreneurs suffisamment formés et motivés pour que le projet réussisse, même s’il est moins conventionnel. De toute façon, les banques ne financent pas les dossiers trop risqués. Quant au retour sur l’exploitation familiale d’enfants d’agriculteurs qui menaient une belle carrière à l’extérieur (1), cela traduit également la diversification des parcours, mais surtout la force d’attraction que conserve notre secteur !

 

(1) Lire nos dossiers
dans La France agricole
du 20 août 2021 et
du 24 septembre 2021 .