«Quand je me suis lancé dans la sélection d’animaux sans cornes, mes collègues me disaient que j’étais fou », se souvient Daniel Peyrot, à la tête de 110 vaches limousines à Vallière, dans la Creuse. Je venais d’obtenir un prix de championnat au concours général à Paris avec mon taureau Joyau. Pour eux, la prise de risque était énorme. »

En effet, prendre une telle décision, impliquait un retour en arrière en ce qui concerne les performances. En termes de développement squelettique et musculaire, les animaux sans cornes de l’époque étaient très en retard par rapport à la moyenne des bêtes standard. « Les discussions avec Louis de Neuville, ancien président de la race limousine au milieu des années 1990, ont participé à forger ma conviction sur l’intérêt du caractère, explique Daniel. Il était visionnaire et il était convaincu que ce critère était une voie d’avenir. »

Moins de travail

Au début de sa carrière, Daniel voyage beaucoup avec l’organisme de sélection de la race. Il participe en particulier à des jugements d’animaux en Argentine. « J’y ai découvert des pratiques très diversifiées par rapport aux nôtres. Les animaux sans cornes étaient beaucoup plus répandus », explique-t-il. Ces échanges continuent de nourrir les réflexions du jeune exploitant. La charge de travail que représente l’écornage a toutefois lourdement contribué au « virage vers le sans cornes ». « Je travaille en entraide avec plusieurs voisins. Nous nous répartissons les gros chantiers et j’étais en charge de l’écornage. Cette tâche me prenait 10 jours par an pour plus de 350 veaux. » En plus du temps « perdu », cette corvée est source de stress pour les animaux et de risques pour les éleveurs.

Au début des années 2000, d’autres pays étaient déjà engagés dans des programmes de sélection de ce gène dans la race limousine. « Pour acquérir de la génétique, nous avons créé un groupe d’une soixantaine d’éleveurs en 2004, avec l’appui de la société KBS : « Polled excellence », ajoute Daniel. Des paillettes et des embryons de taureaux sont achetés, en particulier au Canada. Viking est le premier taureau né sur l’exploitation de l’éleveur creusois.

De meilleures croissances

À cette époque, Daniel est cependant déçu par les phénotypes des veaux qui naissent. Les morphologies ne sont pas à la hauteur du standard de la race. Mais au début des années 2010, après plusieurs accouplements, certaines naissances présentent de bons résultats. Frisson a obtenu cette année-là un ISevr de 121. Daniel continue de garder des femelles. Hercule, un fils de Frisson, est vendu 15 000 euros aux enchères en 2013 à Brive-la-Gaillarde, en Corrèze. Aujourd’hui, les performances des animaux sans cornes ont dépassé celles des cornus. « En 2018, lors du contrôle de performances à 210 jours, les mâles sans cornes pesaient en moyenne 304 kg, et les cornus 12 kg de moins », détaille Anthony Lemasson, technicien à Bovins croissance.

 

Pas de course à l’homozygote

Du côté des femelles, l’écart était moins marqué. Les cornues étaient toutefois en retard de 3 kg par rapport aux sans cornes. Lors du pointage en 2018, les mâles sans cornes ont obtenu la note de 68 en développement musculaire (DM), de même en développement squelettique (DS). Pour les femelles sans cornes, le score était de 67 en DM et 70 en DS. La moyenne des cornues était proche, avec 66 pour le DM et 71 pour le DS. »

En 2019, les croissances des 13 femelles évaluées s’établissent à 1 028 g/j entre 0 et 4 mois et 1 088 g/j entre la naissance et 7 mois. Pour les mâles, les GMQ mesurés sont de 1 222 g/j entre 0 et 4 mois et 1 284 g/j entre 0 et 7 mois. « Ces résultats sont d’autant plus intéressants qu’ils sont obtenus en conduite de plein air intégral », souligne Anthony Lemasson.

« Aujourd’hui, j’achète moins de sans cornes, précise Daniel. J’ai un socle suffisant de 80 femelles. Mon but est de progresser sur l’ensemble des caractères. Je cherche des taureaux "marqueurs" performants. » La quête de l’animal parfait est une obsession pour ce passionné, qui transmettra prochainement son exploitation et son expérience à ses successeurs…