«Réduire la dépendance des élevages aux importations », telle est l’ambition du « Plan protéines végétales pour la France » initié en 2014 par Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture de l’époque. Une volonté réaffirmée par son successeur, Didier Guillaume, en janvier dernier, par la présentation devant le conseil des ministres de l’Union européenne (UE) d’une déclaration sur « la nécessité d’un plan d’action », et le lancement d’une concertation à l’échelle nationale quelques semaines plus tard (lire l’encadré p. 40).
Car le déficit protéique français et européen est une affaire de longue date. « Elle repose sur des causes historiques issues en partie des accords commerciaux négociés dans le cadre du GATT (1) dans les années 1960, avance le ministère de l’Agriculture. En échange de droits protecteurs pour les céréales européennes, les droits à l’importation des oléagineux et des produits de substitution aux céréales en Europe ont ainsi été abaissés. » Une répartition mondiale des productions « attribuant au continent américain la majorité de la production de protéines végétales ».
La France plutôt bonne élève
A la fin des années 2000, l’interdiction de l’utilisation des farines animales suite à l’encéphalopathie spongiforme bovine a « très rapidement accru les importations de tourteau de soja, d’huiles de palme et de soja, ainsi que de phosphates », rapporte Patricia Le Cadre, directrice du Centre d’étude et de recherche sur l’économie et l’organisation des productions animales (Céréopa). Si les farines de porcs et de volailles ont été réautorisées par l’Union européenne (UE) en 2013 pour l’alimentation des poissons, « elles ne le sont pas encore pour l’alimentation des porcs et des volailles pour des raisons de réticences des consommateurs, indique-t-on au ministère de l’Agriculture, mi-juillet, en marge de la ratification du traité de libre-échange avec le Canada (Ceta). Mais du strict point de vue du risque, elles ne présentent pas de danger sanitaire. Dans les années à venir, au niveau de l’Union européenne, la question de leur réautorisation pour l’alimentation animale sera posée. Ne pas utiliser ces produits sûrs n’est pas compatible avec la lutte contre le gaspillage alimentaire. »
Le cas échéant, il n’est pas certain que les acteurs de l’alimentation animale franchissent ce pas. « En plus de l’interdiction des farines, l’utilisation des graisses animales avait été suspendue pendant un an, précise Patricia Le Cadre. Contrairement à d’autres pays européens, elles n’ont depuis jamais été réintégrées dans les formules en France. La réutilisation de farines animales pourrait être difficile à défendre auprès des consommateurs. »
À la faveur d’un accès croissant aux coproduits des filières de biocarburants — drêches de distillerie et tourteaux de colza notamment —, la France n’a pas à rougir de son indépendance protéique. Selon le Céréopa, elle atteignait 54 % en 2017, contre une moyenne européenne de 35 %. Une performance qui cache pourtant un paradoxe. « Nous exportons davantage de protéines sous forme de blé (3,5 millions de tonnes) que nous en importons sous forme de soja (1,5 Mt). Ce qui nous manque, ce sont ces matières premières riches en protéines, composées à plus de 15 % de matières azotées. »
Depuis une quinzaine d’années, les importations de tourteau de soja (OGM et non-OGM) n’ont cessé de diminuer. « On semble atteindre un niveau incompressible, de l’ordre de 2,5 millions de tonnes (Mt) en OGM et 450 000 à 500 000 tonnes en non-OGM et bio », indique la directrice du Céréopa. Dans l’Hexagone, les volailles sont les plus grandes consommatrices d’aliments composés, à hauteur de 41 % des fabrications en 2018. « Près d’une tonne sur trois de soja qui entre chez un fabricant d’aliment du bétail est destinée à la filière poulet. »
L’essor du « sans-OGM »
Les vaches laitières et les poulets de chair expliquent près de 80 % de la consommation de soja non-OGM, encouragée par le développement des démarches de segmentation. « Les disponibilités à l’importation ne posent pas de problème, témoigne un observateur du secteur de l’alimentation animale. L’Inde et le Nigeria comptent désormais parmi les principaux fournisseurs de soja non-OGM en France. Toutefois, leurs standards sociaux – par exemple au sujet du travail des enfants – est contradictoire avec les attentes sociétales formulées pour ce type de segmentation. Sur le volet sanitaire, leurs normes de production sont également loin de nos exigences. Des cas d’analyses positives aux salmonelles sont plus fréquemment observés que lorsque le sojaprovient des États-Unis ou du Brésil. »
Autant d’éléments qui encouragent le recours aux matières premières françaises. Pour pallier la dépendance au soja importé (voir infographie ci-dessous), les regards se tournent vers d’autres ressources protéiques, telles que le colza, le tournesol, la féverole, le pois ou encore le lupin. « La sélection variétale en vue de sécuriser les rendements et les procédés technologiques pour concentrer les protéines sont les deux leviers d’action majeurs pour être compétitif par rapport aux importations », estimait François Cholat, président du Syndicat national de l’industrie de la nutrition animale (Snia), lors de l’assemblée générale de l’organisation, le 17 mai dernier à Rodez (Aveyron). Pour autant, il considère les matières premières importées comme « indispensables afin de permettre à notre agriculture d’exporter ».
Organiser les filières
La valorisation des ressources locales reste une condition essentielle pour accroître l’autonomie protéique française. Elle doit permettre de structurer davantage les filières d’approvisionnement et donner de la visibilité aux producteurs d’oléoprotéagineux. Pour les fabricants d’aliments, « au-delà de la quantité, c’est la concentration en protéines des tourteaux métropolitains qui représentera le challenge de demain », avise Patricia Le Cadre. L’attitude des consommateurs n’est également pas en reste. Ils devront consentir à récompenser par le prix les efforts des éleveurs visant à satisfaire leurs attentes.
(1) Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce.