Dans un avis paru le 7 février 2020, le Conseil d’État juge que certains organismes obtenus par mutagénèse doivent respecter la réglementation OGM et demande au Gouvernement « de modifier le code de l’environnement (qui transpose la directive européenne 2001/18 en droit français, NDLR) en ce sens », dans un délai de six mois.
Mutagénèse dirigée et mutagénèse aléatoire in vitro
La mutagénèse consiste à provoquer des mutations génétiques internes à l’organisme vivant. Les organismes ciblés par le Conseil d’État sont ceux issus de mutagénèse dirigée (édition du génome ou NBT, new breeding techniques) mais aussi de mutagénèse aléatoire in vitro utilisée notamment pour rendre tolérantes aux herbicides des plantes comme le tournesol ou le colza (VRTH). En revanche, les variétés obtenues au moyen de techniques plus anciennes, dont la sécurité est avérée depuis longtemps, ne sont pas soumises à ces obligations.
Attendu depuis longtemps, cet avis suit celui du rapporteur public du Conseil d’État, datant du 20 janvier dernier. Il tire conséquence d’un arrêt en juillet 2018 de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) que le Conseil d’État français avait saisi suite à la requête en 2015 de neuf associations et syndicats, dont la Confédération Paysanne, concernant un contentieux de 2014 sur les VRTH. Ils contestaient la légalité d’un article du Code de l’Environnement excluant les organismes obtenus par mutagenèse du champ de la réglementation sur les OGM. Et demandaient un moratoire sur ces cultures, ce que le Premier ministre avait refusé.
L’arrêt de la CJUE précisait que « les organismes obtenus au moyen des techniques de mutagenèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de la directive de 2001 doivent être soumis aux obligations imposées aux OGM par cette directive. »
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Suspension de cultures
Autre élément important de cet avis : le Conseil d’État veut que soient identifiées, dans un délai de neuf mois au sein du catalogue des variétés, celles qui ont été obtenues par mutagénèse et qui auraient dû être soumises aux évaluations applicables aux OGM du fait de la technique utilisée. « Cela pourra amener en pratique à retirer les variétés concernées du catalogue et à en suspendre la culture », informe le Conseil d’État.
Meilleure évaluation des risques liés aux VRTH
Le Conseil souhaite par ailleurs une meilleure évaluation des risques liés aux VRTH (variétés Clearfield). Le Conseil d’État se base sur le rapport de l’Anses du 26 novembre 2019, qui a identifié des facteurs de risque correspondant au développement des mauvaises herbes tolérantes aux herbicides et donc à l’augmentation de l’usage des produits.
Afin de prévenir ces risques, en vertu du principe de précaution, le Conseil d’État demande au Gouvernement de prendre, dans un délai de six mois, « les mesures nécessaires à la mise en œuvre des recommandations formulées par l’Anses […], en matière d’évaluation des risques liés aux VRTH, ou de prendre toute autre mesure équivalente permettant de répondre aux observations de l’agence sur les lacunes des données actuellement disponibles. »
Enfin, l’avis enjoint au Gouvernement « de solliciter de la Commission européenne l’autorisation de prescrire des conditions de culture appropriées pour les VRTH issues de la mutagenèse utilisées en France, afin que les exploitants mettent en œuvre des pratiques destinées à limiter l’apparition de résistance aux herbicides ».
Le gouvernement prend acte
Le gouvernement a indiqué le jour même par communiqué avoir pris acte de la décision du Conseil d’État. Il va « étudier de manière approfondie la décision du Conseil d’État, afin de la mettre en œuvre en prenant en compte l’avis de l’Anses du 26 novembre dernier et conformément à la réglementation européenne », indiquent les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique dans un communiqué.
« Frein à l’innovation »
Mais les filières agricoles souhaitent attirer l’attention du gouvernement « sur les risques générés par cette jurisprudence ». Dans un communiqué paru également le 7 février, 27 organisations regroupant la FNSEA, les syndicats de grandes cultures, l’interprofession semencière, les instituts techniques… estiment ainsi que « la décision du Conseil d’État freinera l’innovation et la compétitivité agricole française ».
Adaptation de la réglementation européenne
Elles demandent ainsi une « adaptation rapide de la réglementation européenne », la considérant comme « obsolète ». Les organisations souhaitent « éviter un coup d’arrêt à l’innovation portée par la sélection variétale qui pourrait s’avérer fatal pour les agriculteurs engagés dans la transition agroécologique ».
« La question est donc de savoir si les acteurs des filières agricoles et agroalimentaires auront accès aux produits développés grâce à ces nouvelles méthodes de sélection, comme c’est déjà le cas dans d’autres parties du monde », poursuivent-elles. Et de préciser que la Commission européenne est à l’initiative de deux études d’impact sur le sujet, tenant en compte « le décalage entre le champ des possibles offert par la sélection variétale et le cadre juridique actuel ».
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Satisfaction des associations requérantes
De leur côté, les organisations requérantes se félicitent que le Conseil d’État leur ait donné raison « sur de nombreux points », faisant passer « la santé et l’environnement avant les intérêts économiques de quelques firmes semencières et productrices de pesticides ». Elles regrettent toutefois que la décision n’ordonne pas de moratoire sur les plantes rendues tolérantes aux herbicides comme elles le demandaient.