Tout le monde fait la promotion des systèmes d’alimentation durable, surtout après la crise sanitaire du Covid-19, et pourtant ils ne se mettent pas en œuvre de façon massive. C’est à ce paradoxe que s’est attaqué le Conseil économique, social et environnemental lors de sa session plénière du 9 décembre 2020. L’assemblée a adopté le rapport de deux de ses membres, Florence Denier-Pasquier, la vice-présidente de France Nature Environnement, et Albert Ritzenthaler, le secrétaire confédéral de la CFDT.
Un lien entre alimentation et agriculture durable
« Nos travaux ont permis d’identifier certaines faiblesses de nos systèmes alimentaires comme la forte dépendance aux importations pour des aliments (fruits et légumes frais, légumineuses) nécessaires à des régimes équilibrés au plan nutritionnel ou les tensions entre l’organisation actuelle de l’aide alimentaire et la réduction du gaspillage alimentaire », expliquent les auteurs qui font un lien entre une alimentation durable et le système agricole qui le fait naître. Quels rôles peut jouer l’agriculture française dans cette transformation ? La réponse en huit points cités au fil du rapport de Florence Denier-Pasquier et Albert Ritzenthaler.
-
Vers une autre place de la viande
Les auteurs du rapport préconisent de réduire la place de la viande dans les régimes alimentaires. Ils reconnaissent que l’élevage est un bon moyen de valoriser les surfaces moins adaptées à la culture des céréales. Ils recommandent donc de renforcer les élevages à l’herbe des ruminants en les répartissant mieux sur le territoire. À l’inverse, « les élevages intensifs de vaches laitières, de porcs et de volailles » se voient reprocher leur dépendance aux céréales et aux protéagineux importés.
-
Vers un renforcement des légumineuses
« Une place renforcée des légumineuses est la clé de voûte d’une transition vers les systèmes alimentaires durables », affirment les auteurs du rapport en considérant aussi bien leur ajout dans les régimes alimentaires des êtres humains que pour bâtir les rations des animaux. Ils voient ainsi d’un bon œil l’entrée de cette recommandation dans le plan protéines dont les appels d’offres ont été lancés au début de décembre.
-
Vers une agroécologie généralisée
Le rapport du Cese fait un lien direct entre la durabilité de l’alimentation et l’agroécologie, en ce sens que cette dernière suppose une territorialisation de la production agricole en la rapprochant des lieux de consommation. L’agroécologie se voit associée à plusieurs externalités comme les économies de transport, la qualification des emplois, l’amélioration de la santé par la nutrition, etc.
-
Vers une agriculture de territoire
« Pour le Cese, l’enjeu est celui de la reconquête de l’autonomie alimentaire au sens de capacité à produire une alimentation durable de proximité, en limitant les flux, en densifiant les maillages d’acteurs, tout en organisant des solidarités et des complémentarités géographiques », écrivent les auteurs. Ils regardent avec bienveillance les projets agricoles territoriaux qui sont l’exacte mise en œuvre de ces intentions.
Mais ils déplorent que ces derniers reposent avant tout sur le volontariat des acteurs locaux. Le Cese propose d’instituer une compétence « alimentation durable » dans les collectivités territoriales. Elle se chargerait de la coordination de l’approvisionnement des restaurants collectifs, de la valorisation des agriculteurs « respectant les ressources naturelles, notamment l’eau », etc.
-
Vers une dynamique des projets agricoles territoriaux
Le Cese préconise que les communes et les intercommunalités favorisent le développement d’écosystèmes alimentaires locaux pour soutenir les agriculteurs, les très petites entreprises et les artisans locaux, en attribuant des chèques « alimentation durable locale » aux personnes en situation de précarité alimentaire, en valorisant des productions agroécologiques et en s’appuyant notamment sur le système des monnaies locales complémentaires.
Le financement de ces projets agricoles territoriaux proviendrait du plan de relance, des aides régionales, de la banque des territoires et du deuxième pilier de la Pac. Dans les métropoles, le Cese propose de réorienter la logistique des marchés vers la production locale. Le symbole de cette transformation résiderait dans la transformation des marchés d’intérêt national (Min) en marchés d’intérêt territorial.
-
Vers une utilisation de la Pac
Les auteurs du rapport demandent d’utiliser la future politique agricole commune pour impulser l’alimentation durable, en particulier en soutenant le programme « les fruits et légumes à l’école », voire en l’élargissant vers un « les fruits et légumes pour tous ».
D’une façon plus ambitieuse, le Cese propose de profiter de la réforme de la Pac pour la réorienter « vers la souveraineté alimentaire organisée par territoire ».
Dans le plan stratégique national de la France en vue de cette future Pac, les auteurs proposent de renforcer les mesures agrienvironnementales, de favoriser les mesures collectives favorisant l’autonomie des fermes, la prise en compte de l’emploi dans les aides directes, etc.
-
Vers une inclusion de l’alimentation dans la loi foncière
Le projet de loi foncière (toujours dans les premiers stades de son élaboration) devrait intégrer des mesures liées à l’alimentation, selon ce rapport du Cese, en particulier en créant des zones agricoles protégées sur le long terme.
-
Vers une valorisation de l’aspect social de l’agriculture
Le Cese préconise de valoriser l’aspect social de l’agriculture en créant une sorte de statut du travailleur saisonnier permanent, en faisant la promotion de l’emploi partagé, en signant des accords de branches pour les travailleurs détachés et en valorisant l’emploi agricole dans les signes officiels de qualité.
D’autres propositions essaiment ce rapport. Elles ont un lien moins direct avec l’agriculture et envisagent les autres dimensions de l’alimentation durable aux yeux du Conseil économique, social et environnemental : l’alimentation pour tous, la restauration collective, l’artisanat de bouche, la lutte contre le gaspillage alimentaire, etc.