« Quand on évoque les chiffres comptables d’une exploitation, il y a un mélange de notions différentes : l’État cherche à évaluer le montant des impôts, les financeurs à savoir si l’entreprise est rentable et les conseillers de gestion et les agriculteurs, combien il reste à vivre », énumère Mathilde Schryve, responsable des études et prospectives à Cerfrance. Le revenu est souvent l’un des éléments les plus difficiles à calculer.

« S’intéresser au 'revenu' d’un agriculteur, c’est d’abord s’intéresser à la performance économique de son exploitation agricole en tant qu’entreprise », explique une note de l’Insee en partenariat avec Agreste (1), et pas forcément au revenu déclaré aux impôts. Mais alors comment calculer ce revenu ? Faut-il prendre en compte la valeur ajoutée, l’excédent brut d’exploitation (le fameux EBE), le revenu disponible ? Et surtout : pourquoi est-ce si compliqué ?

Performance de l’exploitation

L’exploitation est l’unité de base : « Il s’agit d’une entreprise qui tient à jour une comptabilité, utilisée pour identifier et caractériser précisément toutes les opérations liées à la gestion de l’exploitation au cours d’une période donnée (par exemple une année). »

Chaque année, une exploitation produit un certain nombre de biens : céréales, produits laitiers, viande… Pour produire, elle consomme des biens intermédiaires comme les engrais, les aliments ou les pesticides. Ils doivent être déduits du résultat des ventes des biens. Cela permet d’accéder au montant de la valeur ajoutée, c’est-à-dire la valeur créée par l’exploitation. Si son calcul n’est généralement pas réalisé dans un exercice comptable, elle est intéressante car elle figure « ce qu’on arrive à créer avant d’avoir rémunéré les capitaux, le foncier et le travail », explicite Mathilde Schryve.

Excédent brut d’exploitation

Pour obtenir l’excédent brut d’exploitation (EBE), il faut encore soustraire les charges de personnel (salaires et cotisations sociales des salariés et cotisations sociales des agriculteurs), le paiement de loyers si certaines terres sont en fermages et certains impôts et taxes sur la production (comme la taxe foncière). Dans le même temps, l’exploitation perçoit d’autres sources de revenu que les ventes de sa production, qui peuvent être des indemnités d’assurance (en cas de catastrophe ou d’épizooties) ou des subventions d’exploitation comme les aides Pac.

L’EBE est l’un des indicateurs le plus souvent pris en compte quand on évalue le revenu agricole. « C’est un vrai repère car il détermine la richesse dégagée sur l’exploitation en dehors des choix d’investissement de chacun », enseigne Mathilde Schryve. Mais il ne permet pas d’avoir une idée claire du revenu disponible pour les agriculteurs à la fin de l’année. Car il faut encore déduire les annuités des investissements et des charges financières.

Trésorerie

Il y a une différence entre les recettes et les dépenses qui impactent la trésorerie et les charges et produits, qui sont pris en compte dans le calcul de l’EBE. Les charges et produits sont déterminés à partir de pièces comptables plus théoriques : « Parfois des éléments apparaissent comme des produits – la vente de grains à la coopérative, des aides Pac pas encore versées, une augmentation de la valeur du cheptel pas encore vendu — mais ce n’est pas de l’argent ‘sonnant trébuchant’, indique Mathilde Schryve. Pour l’agriculteur, ce décalage, notamment les variations de stock, peut rendre difficile la perception de ce qu’il lui reste à vivre ».

Pour savoir ce qu’il reste concrètement dans la poche des agriculteurs, il faut donc ajouter ou soustraire ces variations de stock de manière à se rapprocher de la réalité de trésorerie.

De l’exploitation au ménage

Autres revenus

En plus des bénéfices agricoles qu’il dégage de son activité professionnelle sur l’exploitation, « un agriculteur dispose dans la plupart des cas d’autres ressources financières. » À titre individuel, il peut percevoir un salaire s’il est en double activité, une pension de retraite, ou des revenus du patrimoine (propriétaire de terres en fermages, de maisons locatives…)

Au sein du ménage, d’autres personnes peuvent apporter leurs propres revenus (salaire ou minima sociaux d’un ou une conjointe, pension de retraite d’un parent…) Et le ménage peut aussi percevoir des prestations familiales propres à sa constitution. Ainsi un chef d’exploitation en couple avec deux enfants percevra les revenus de l’exploitation, le salaire du conjoint et des allocations familiales.

Revenu disponible

Le revenu d’un agriculteur est ainsi impacté par d’autres facteurs que la performance de l’exploitation. « C’est donc au niveau du ménage que l’on mesure le revenu disponible, c’est-à-dire l’ensemble des revenus d’activité, retraites et revenus du patrimoine (foncier ou financier) de tous les membres du ménage, les prestations sociales perçues par ce ménage, et diminué des impôts directs (en particulier l’impôt sur le revenu) », concluent les auteurs de l’Insee.

« Un constat apparaît cependant quelle que soit l’approche retenue : la très grande diversité des situations et les fortes inégalités de revenus qui caractérisent le monde agricole », nuancent finalement les auteurs de l’article.

(1) « Combien gagne un agriculteur ? », 12 décembre 2024, Vincent Marcus, Isabelle Robert-Bobée, Félix Paquier et Étienne Apers