Au nom de la sécurité, une déferlante de nouvelles règles est en train de s’abattre sur les matériels agricoles. Et, dans certains cas, l’exigence est au mieux risible, au pire totalement déconnectée des réalités du terrain. La dernière lubie en date concerne les chargeurs frontaux qui équipent les tracteurs.

Le 3 avril 2025, le ministère de l’Agriculture a publié un avis au Journal officiel afin d’alerter constructeurs, concessionnaires, loueurs et utilisateurs sur l’absence de « présomption de conformité » qui touche désormais les chargeurs frontaux. Concrètement, tous les chargeurs mis sur le marché depuis avril 2015 sont considérés comme non conformes, jusqu’à preuve du contraire.

Éviter la manipulation de balles

« Toute cette histoire ubuesque est partie d’Allemagne, précise Laurent de Buyer, directeur général d’Axema (1). Nos voisins ont estimé que le nombre d’accidents graves ou mortels lors de la manipulation de balles avec un chargeur frontal était trop élevé. Ils remettent donc en question la norme EN 12525 en estimant qu’elle ne répond pas à la directive machine de 2006 (voir l’encadré).»

«La Commission européenne a ensuite conclu que la norme EN 12525 n’était plus satisfaisante Laurent de Buyer, poursuit . Mais, ce qu’il faut savoir, c’est que les tracteurs ciblés sont ceux qui ne sont pas pourvus d’une structure Fops, c’est-à-dire une protection contre les chutes d’objets. Sur ces tracteurs sans cabine ou pourvus d’un vieil habitacle, les constructeurs sont désormais censés intégrer une structure de protection au chargeur. Une exigence qui semble mission impossible. »

En attendant la définition d’une nouvelle norme, chaque chargeur frontal doit faire l’objet d’un examen afin de vérifier s’il est conforme ou non aux exigences de sécurité de la directive machine. On s’achemine donc vers une importante campagne de rappel des chargeurs. La FNCuma recommande de cesser les chantiers de manipulation des balles avec un tracteur sans cabine Fops. L’avis du ministère précise par ailleurs que « si le constructeur n’est pas en mesure de proposer une solution technique permettant de modifier le chargeur frontal, il doit être échangé contre un chargeur frontal conforme à sa charge ».

La visibilité en question

Fréquents dans l’automobile, les rappels de grande envergure étaient plus rares dans l’agriculture jusqu’en mars 2025, lorsque les constructeurs d’épandeurs à fumier ont rappelé tous leurs engins. Pourquoi ? Pour les mettre en conformité avec les exigences des agents de surveillance du marché des agroéquipements du BRCTA (2).

Afin de remédier à un manque de visibilité sur l’arrière de l’épandeur, les constructeurs ont fait le choix d’installer une caméra sur le cadre arrière avec un retour sur un écran en cabine. « Nous craignons que ce ne soit que le début d’une importante campagne de rééquipement, s’inquiète Damien Dubrulle, président d’Axema, car l’absence de visibilité sur l’arrière est la même sur tous les véhicules agraires. »

Les constructeurs d'épandeurs à fumier mènent une campagne de rappel pour améliorer la visibilité sur l'arrière de leurs engins. (© P. Peeters)

Les pulvérisateurs, notamment les gros modèles traînés, pourraient être aussi dans le viseur. Mais ils sont actuellement ciblés par une autre évolution de la réglementation. Désormais, la seule surveillance humaine n’est plus considérée comme un moyen suffisant pour éviter le débordement de la cuve lors de son remplissage. Selon la grille de conditionnalité, le non-respect des nouvelles règles de remplissage entraîne une pénalité de 3 % sur les aides Pac.

La présence d'un dispositif anti-débordement est désormais obligatoire sur tous les pulvérisateurs. (© Amazone)
L’agriculteur doit à la fois prévoir un moyen de protection du réseau d’eau empêchant le retour de l’eau de la cuve vers le circuit d’alimentation, ainsi qu’un dispositif permettant d’éviter tout débordement de la cuve. Les premiers concernés sont les polyculteurs-éleveurs qui ont des pulvérisateurs portés ou des petits modèles traînés dépourvus de ce type de solution. Ils sont aussi les premiers visés par les rappels d’épandeurs et l’imbroglio sur les chargeurs frontaux.

Toujours pas de kit pour le freinage

Cet inventaire des contraintes qui viennent peser sur les matériels ne serait pas complet sans mentionner le feuilleton du freinage. Si, depuis le 1er janvier 2025, tous les tracteurs et équipements neufs mis sur le marché sont dotés d’une double ligne de freinage, les solutions pour rouler en sécurité avec un tracteur simple ligne attelé à un matériel double ligne, ou l’inverse, se font attendre. Elles pourraient même ne jamais voir le jour.

En effet, le ministère de l’Agriculture et son homologue des Transports se renvoient la balle concernant le kit d’adaptation pour les tracteurs simple ligne. Quand au système dit « intelligent » monté depuis cinq ans sur les tracteurs en double ligne afin qu’ils puissent freiner les outils à simple ligne, ils ne sont plus autorisés depuis le 1er janvier 2025, et seule une très hypothétique modification du règlement européen pourrait lever l’interdiction.

Le dispositif permettant de freiner une benne simple ligne avec un tracteur double ligne est interdit depuis le 1er Janvier 2025. (© Gutner)

Sous cette pluie de nouvelles contraintes, on ne peut que regretter la disparition du BCMA (3) et des conseillers de terrain, dont le rôle était de décrypter les nouvelles réglementations, de les expliquer aux agriculteurs et surtout de défendre les utilisateurs face aux pourvoyeurs de normes. Sacrifié sur l’autel des réorientations budgétaires vers l’agroécologie en 2017, le BCMA fait aujourd’hui cruellement défaut aux agriculteurs. 

(1) Syndicat des constructeurs et importateurs de matériels agricoles

(2) Bureau des relations et des conditions de travail en agriculture

(3) Bureau commun du machinisme agricole