C’est un salon qui porte bien son nom. Dès la coupure du ruban qui inaugure la soixante et unième édition du Salon international de l’agriculture, les enjeux mondiaux de l’agriculture se sont imposés sur le devant de la scène, samedi 22 février à Paris. Le Maroc en invité d’honneur, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch se tenait aux côtés du président de la République au coup de ciseaux.

En rendez-vous avec les syndicats avant l’inauguration, face aux questions des journalistes, ou pendant les dix heures de déambulation, Emmanuel Macron n’a pas pu échapper à l’épineuse question : dans un contexte de conflits internationaux, comment faire exister la ferme France ?

« On est à un moment de géopolitique extrêmement tendu, a-t-il admis devant les caméras quelque temps après son arrivée. Demain, rien ne nous dit que l’alimentation ne deviendra pas une arme. »

Interrogé à plusieurs reprises sur la menace américaine d’imposer des droits de douane sur de multiples produits européens, le président de la République a promis d’« apaiser » le débat avec son homologue Donald Trump. À l’issue de leur rencontre lundi 24 février à Washington (États-Unis), le président espérait « l’avoir convaincu ». Sur le salon, la question des exportations est omniprésente. Pascal Le Brun, président de l’interprofession laitière (Cniel) estime que « quelques pourcentages de droits de douane supplémentaires » pourraient mettre sa filière en difficulté.

La souveraineté en étendard

Quand les bonnets jaunes de la Coordination rurale ont plusieurs fois été mis à distance par la sécurité présidentielle, la déambulation d’Emmanuel Macron n’a pas échappé à la mise en scène de la FNSEA au côté des animaux. Sous les drapeaux du syndicat figurent quelques affiches sous forme de panneaux communaux « urgence souveraineté » et « non au Mercosur », cri de ralliement des dernières mobilisations.

Emmanuel Macron soutient avoir compris que cette « concurrence déloyale », en partie due aux accords de libre-échange est aussi à l’origine des manifestations qui ont secoué le monde agricole depuis un an. S’il maintient son soutien au Ceta avec le Canada, il a rappelé son opposition à l’accord commercial avec le Mercosur : « C’est un mauvais texte tel qu’il a été signé et on fera tout pour qu’il ne suive pas son chemin. »

Pour Patrick Bénézit, vice-président de la FNSEA et président de la Fédération nationale bovine, l’enjeu est maintenant de ne pas concéder à la Commission européenne de « scinder l’accord », ce qui permettrait de se passer de l’unanimité des États membres pour valider le volet commercial. Une vision partagée par le chef de l’État. Face à la concurrence mondiale et aux incertitudes sur la scène internationale, « il faut défendre cette capacité à produire européenne, a souligné le président, il faut produire pour nourrir et pour avoir cette autonomie alimentaire et pour exporter. »

Des textes en chantier

Mais comment produire, quand dans les allées, entre le fromage et le saucisson, les agriculteurs constatent « de moins en moins de producteurs » et quand un jeune regrette des conditions d’installations « trop dures » ? « Au boulot, ça suffit la parole, il faut bosser ! » crie finalement une femme derrière le cordon de sécurité.

Nombre des chantiers entamés par le gouvernement pour répondre à la colère agricole sont encore dans les couloirs du Parlement et de l’exécutif, pris dans l’agenda politique mouvementé des derniers mois. Une lenteur qui exaspère le président de Jeunes Agriculteurs, Pierrick Horel. Revenu, simplification administrative, foncier… « On a besoin d’aller plus loin dans ce processus législatif, ce n’est que le début de quelque chose », a-t-il confié au président. « L’obligation de résultat, on ne la voit pas », accuse de son côté Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale.

Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne s’interroge : « Un an après, où sont passés les prix planchers ? » « Un travail a été fait par des parlementaires, répond Emmanuel Macron, en référence à un rapport d’évaluation des lois Egalim. Il arrive maintenant au ministère et c’est donc tout le travail de réforme de la structuration des prix. » Les lois Egalim « ont fonctionné, parce qu’elles ont produit des résultats, parce qu’elles ont mieux protégé les prix agricoles », affirme le président de la République.

« Est-ce que c’est suffisant ? Non. Parce qu’il y a, on le voit bien, des négociations (commerciales, NDLR) qui ne se passent pas dans un climat apaisé malheureusement. Ce qu’on veut, c’est […] qu’on ne puisse pas vendre des produits en dessous de leur coût de production. Et donc qu’on ne les vende pas à perte pour les producteurs. »

Un vœu pieux pour l’heure, tant le prix de la matière première agricole reste contesté dans des négociations commerciales tendues entre l’industrie et la grande distribution.

L’agrivoltaïsme sous tension

À défaut d’obtenir des résultats sur la rémunération de leurs produits, les agriculteurs cherchent d’autres solutions. Et les énergies renouvelables, avec l’agrivoltaïsme et la méthanisation s’offrent une place de choix au Salon. Pourtant, l’heure est plutôt à l’inquiétude pour l’agrivoltaïsme. Les acteurs de la filière ont multiplié les entretiens avec les politiques pour plaider leur cause. Leur principale source d’inquiétude est la proposition de loi (PPL) sur le partage de la valeur portée par le député Pascal Lecamp. La Fédération française des producteurs agrivoltaïques (FFPA) n’a pas caché ses craintes concernant plusieurs points clés de ce texte. Les énergéticiens s’inquiètent de la limitation de la puissance des projets à 5 MWc par exploitation agricole. Interrogé sur ce sujet lors d’une table-ronde, Pascal Lecamp a défendu la nécessité de cette limitation. « Un agriculteur sur deux est prêt à s’équiper, ce qui est une bonne chose mais quand on sait qu’on a un objectif de 50 000 ha d’ici à 2050, ça veut dire que c’est un quart d’hectare par exploitant. Avec les contraintes que ça représente en termes de raccordement, postes sources… on arrive à quelque chose qui n’est plus possible. » Le député renvoie désormais la balle à ses confrères en les appelant à « déposer des amendements pour faire bouger les curseurs ».

Du côté de la méthanisation, le climat est plus apaisé mais le cabinet du iinistre de l’Énergie, Marc Ferracci, a annoncé la couleur : « La priorité, c’est l’injection de biogaz dans le réseau. » L’objectif affiché est d’encourager les unités en cogénération à convertir leur installation et à se lancer dans l’injection. Un autre vœu pieu tant les petites unités sont loin des points de raccordement et le portage trop coûteux.

Un après la mobilisation historique des agriculteurs, de nombreuses attentes manquent encore de concrétisation.