Au champ, les agriculteurs luttent contre les bioagresseurs des cultures à l’aide de produits phytosanitaires de synthèse ou d’origine naturelle (comme le biocontrôle). Les deux types peuvent être confrontés à l’évolution de résistances chez les adventices, les insectes, les champignons.

Même en l’absence de tout traitement, des individus moins sensibles que la moyenne à une substance donnée sont présents dans les parcelles. Ils peuvent survivre à l’exposition à une dose de pesticide qui normalement les aurait contrôlés, et se reproduire. Ils sont donc résistants. « La résistance est la réponse évolutive des populations de bioagresseurs à la pression de sélection des pesticides, précise Christophe Délye, de l’Inra, lors des Journées d’échange sur les résistances aux produits de protection des plantes 2019. La fréquence des résistants augmente donc à chaque cycle de sélection. » Jusqu’à provoquer une perte de contrôle et une explosion du nombre d’individus.

Plus celui-ci est basé sur une chimie non diversifiée, plus le risque de favoriser rapidement une résistance est élevé. Par conséquent, contrôler un bioagresseur présent sur de grandes surfaces en utilisant exclusivement des traitements ayant un même mode d’action, voire un seul produit, constitue un facteur aggravant. Néanmoins, « la facilité d’emploi des produits phyto a conduit à leur utilisation massive. Les herbicides, en particulier, sont peu chers, leur efficacité est constante (95 à 99 % des plantes sont sensibles), ils sont sélectifs de leur cible et rapides d’utilisation », justifie Christophe Délye. Mais leur usage ne devrait idéalement se faire qu’après la mise en œuvre de moyens préventifs, pour « finir le travail », poursuit le chercheur. En effet, « les produits de protection des plantes (PPP) peuvent avoir des effets collatéraux (santé, agribashing…) et sont à l’origine de la sélection des résistances. En France, on recense vingt-deux espèces d’adventices avec au moins une résistance, regrette-t-il. Malheureusement, les techniques alternatives sont moins efficaces et plus contraignantes. »

Les pesticides sontune ressource finie

Si à court terme, il est compréhensible de privilégier la simplicité dans le contrôle des bioagresseurs, celui-ci ne peut se raisonner que dans la durée et collectivement « en considérant l’efficacité des PPP comme un bien commun. Et les herbicides ont perdu deux modes d’action en deux ans (glufosinate et diquat) », insiste Christophe Délye, d’autant que la palette de solutions chimiques se restreint de façon constante depuis plusieurs années. En effet, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le boom de la chimie a aidé les agriculteurs à produire davantage. Le nombre de principes actifs a crû jusque dans les années 2000, avant que leur fonte ne s’amorce en 2003 en raison du renforcement des réglementations européenne et française. En moyenne, une molécule donnée est utilisée depuis plus de vingt ans. Néanmoins, certaines d’entre elles le sont depuis les années 50 (1).

« Les PPP sont une ressource finie. Depuis 1982, il y a eu plus de retraits que de mises sur le marché », illustre Christophe Délye. Selon l’UIPP, en Europe, « 75 % des molécules utilisées avant 1993 ne sont plus employées, car elles ne correspondent plus aux exigences réglementaires ou sont techniquement dépassées ». Et entre 1993 et 2015, le nombre de substances (tous types confondus) a fondu de 60 %. « Il n’y aura pas toujours de nouveaux modes d’action, car il y a la législation, les notions de toxicité et d’écotoxicité, la concurrence entre firmes, le changement climatique, la demande sociétale et les résistances des bioagresseurs. Il n’y aura rien de nouveau sous cinq à dix ans, au mieux deux à trois ans en fongicides », insiste Christophe Délye (voir l’infographie).

Privilégier la prévention

Cette évolution a induit l’utilisation répétée de moins d’actifs et a favorisé la sélection d’organismes résistants aux phytos. Il est donc indispensable de détecter, suivre et quantifier les résistances des bioagresseurs afin d’augmenter la durabilité des produits restants disponibles. D’autant plus qu’une résistance ne disparaît pas instantanément si l’on arrête de traiter avec le pesticide concerné. « Toutefois, plus on interrompt le traitement tôt au départ de celle-ci (très faibles fréquences de résistants), plus on a de chance de s’en débarrasser. Il ne faut pas rêver, tout pesticide perdu pour cause de résistance l’est généralement pour longtemps, pour de bon », affirme le chercheur. En cas de généralisation de la résistance, il est donc inutile de continuer à utiliser le principe actif concerné. « Et surtout, il ne faut pas l’utiliser dans un mélange car on expose l’autre molécule et cela aura pour effet d’augmenter l’indice de fréquence de traitement (IFT) inutilement », martèle Myriam Siegwart, de l’Inra. D’autres méthodes, chimiques ou non, devront être mises en œuvre pour lutter contre le bioagresseur résistant. Toutefois, lorsque la résistance est établie, mettre en place des mesures de gestion est en général plus contraignant, moins efficace, voire plus coûteux qu’utiliser une stratégie de prévention.

(1) History of chemical weeding from 1944 to 2011in France : changes and evolution of herbicidemolecules, 2012, Bruno Chauvel, Jean-Philippe Guillemin, Jacques Gasquez, Christian Gauvrit.